Malgré la rupture politique, l’AES entretient ses ancrages avec la CEDEAO

Publié le 17/12/2025

Depuis début janvier, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ne sont plus membres de la CEDEAO. La rupture politique n’a toutefois pas entraîné une sortie complète de l’architecture régionale. Lors de sa 68e session, l’organisation régionale ouest-africaine a acté le maintien de liens institutionnels avec les trois pays sahéliens.

La sortie annoncée du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’a pas débouché sur une rupture totale avec l’architecture régionale ouest-africaine. Derrière le discours de souveraineté et de recomposition géopolitique porté par l’Alliance des États du Sahel (AES), les faits traduisent une stratégie plus nuancée, faite de continuités sélectives avec certaines institutions communautaires jugées essentielles. La décision récente de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO concernant le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) illustre cette logique de maintien ciblé des liens.

Une adhésion sollicitée, pas subie

Contrairement à une lecture qui verrait dans cette décision une concession unilatérale de la CEDEAO, le communiqué officiel souligne que l’initiative est venue des pays de l’AES eux-mêmes, évoquant une « demande d’adhésion » au GIABA.

« La Conférence accorde au Burkina Faso, au Mali et au Niger le statut de membres non-CEDEAO du GIABA, sur la base de leur fort engagement politique à mettre pleinement en œuvre l'ensemble des obligations requises des membres du GIABA », indique le texte adopté par les chefs d’État. Cette précision révèle que, malgré leur retrait politique du bloc communautaire, les trois pays ont explicitement souhaité rester intégrés à un dispositif régional clé de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération.

Le communiqué précise que cet engagement inclut notamment « la correction des lacunes identifiées dans leurs cadres de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération (LBC/FT/CPF), ainsi que leur coopération totale et leur conformité à toutes les obligations y afférentes ». Autrement dit, les autorités sahéliennes acceptent de continuer à se soumettre à des standards régionaux et internationaux contraignants, alignés sur les exigences du Groupe d’action financière (GAFI), dans un contexte où la crédibilité des dispositifs LBC/FT conditionne l’accès aux financements extérieurs, aux relations bancaires correspondantes et aux marchés internationaux.

Cette démarche traduit un réalisme économique assumé. Dans des économies fragilisées par l’instabilité sécuritaire, la pression budgétaire et la raréfaction des ressources concessionnelles, se couper des mécanismes de coopération financière et prudentielle régionaux reviendrait à accroître les risques d’isolement. En maintenant leur ancrage au sein du GIABA, les pays de l’AES cherchent ainsi à préserver un minimum de continuité réglementaire, au-delà de la rupture politique avec la CEDEAO.

Membres non-régionaux de la BIDC

La même logique prévaut dans le traitement réservé à la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC). La Conférence a approuvé la résolution du Conseil des gouverneurs de la banque relative à la poursuite de la participation des pays de l’AES « en tant que membres non-régionaux », tout en validant le maintien du personnel ressortissant de ces États au sein de l’institution. Une décision qui devrait éviter une désorganisation brutale de l’outil financier régional et à sécuriser les engagements en cours.

En effet, à ce jour, le Burkina Faso, le Mali et le Niger détiennent ensemble 6,29 % du capital de la BIDC, une banque qui avait investi plus de 5 milliards de dollars dans la région à fin juin 2025. Si leurs parts restent modestes comparativement à celles de poids lourds régionaux comme le Nigeria (31,2 %), le Ghana (15,71 %) ou la Côte d’Ivoire (14,76 %), ces trois États ont néanmoins bénéficié de financements significatifs pour des projets structurants. Au Burkina Faso, la BIDC a soutenu la construction du barrage et de la centrale hydroélectrique de Samendeni ainsi que le projet du nouvel aéroport de Donsin, via un prêt de 5 milliards FCFA, soit plus de 8 millions de dollars, accordé en 2013. Au Mali, la banque est intervenue dans le projet d’aménagement du barrage de Taoussa, tandis qu’au Niger, elle a participé au financement du barrage de Kandadji.

Toutefois, le retrait formel des pays de l’AES de la CEDEAO pourrait, à terme, entraîner une réorganisation du capital de la BIDC et une réorientation de ses priorités d’investissement. Le maintien du statut de membres non-régionaux apparaît ainsi comme une solution transitoire, permettant de préserver la continuité financière tout en laissant ouverte la question de l’équilibre futur de l’institution. Ce, dans un contexte où l’AES vient d’acter la création juridique de sa propre banque d’investissement.

Pris dans leur ensemble, ces choix traduisent une recomposition pragmatique des relations entre l’AES et la CEDEAO. Si la contestation de l’ordre politique communautaire est clairement affirmée, elle ne se double pas d’un rejet des normes économiques et financières qui structurent l’espace ouest-africain. En demandant eux-mêmes à rester membres du GIABA et en conservant leur place au sein de la BIDC, les États sahéliens reconnaissent implicitement que certaines institutions régionales relèvent désormais d’une logique quasi multilatérale, difficilement substituable. Une réalité qui souligne les limites d’une rupture totale dans une région marquée par de fortes interdépendances financières et sécuritaires.

Moutiou Adjibi Nourou