Comment la BIDC parie sur le commerce pour cimenter l’intégration ouest-africaine

Publié le 27/11/2025

Consciente du faible taux des échanges intrarégionaux estimé à moins de 12 % du commerce total, la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC) intensifie ses financements dans les infrastructures, l’industrialisation et le commerce, pour faire de l’intégration régionale une réalité économique tangible.

Lomé, le 3 avril 2025. Au cœur du siège de la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC), les administrateurs de l’Institution de Financement du Développement ont validé un projet d’envergure à hauteur de 180 millions USD dédiés à la construction d’une ligne ferroviaire majeure entre Kano, au Nigeria, et Maradi, au Niger. Au-delà des quelques centaines de kilomètres de rails, cette initiative porte une ambition bien plus vaste qui est celle de désenclaver le Sahel, dynamiser les flux de marchandises entre les deux nations et établir un nouveau corridor de fret vital, connectant le cœur industriel nigérian aux marchés sahéliens. Ce chantier colossal, confié à Mota-Engil Nigeria, s’inscrit dans la stratégie assumée de la BIDC qui est d’ériger l’intégration économique régionale en levier de stabilité et de croissance, même face aux tensions politiques et aux incertitudes qui traversent le continent.

Un commerce régional en panne

Pourtant, derrière cette nouvelle voie ferrée et ces chantiers qui fleurissent d’un bout à l’autre de la région, le commerce entre voisins ouest-africains peine encore à décoller.

Moins de 12%. C’est la part que représentent les échanges entre Etats Membres de la CEDEAO dans leur commerce total, selon les estimations les plus récentes. Un chiffre quasi inchangé depuis dix ans. Ce taux, déjà faible, reste inférieur à la moyenne africaine (environ 16-17 %) et très en deçà des standards observés ailleurs, qui représentent près de 59 % en Asie et 66 % en Europe (CNUCED, 2024).

Cette réalité trahit l’échec partiel de l’intégration commerciale ouest-africaine, en dépit de la mise en place d’une zone de libre-échange, d’un tarif extérieur commun et de règles de transit harmonisées depuis plusieurs décennies. Les routes existent, mais les flux peinent à suivre.

Les causes sont connues : des chaînes logistiques fragmentées, des coûts de transport élevés, des barrières non tarifaires persistantes et une faiblesse des industries locales. En 2024, un rapport conjoint CEDEAO-OCDE soulignait que « la plupart des pays de la région exportent essentiellement des matières brutes, souvent à destination de l’Europe ou de l’Asie, mais très peu entre eux ».

Débloquer l’intégration

C’est précisément ce verrou que la BIDC veut faire sauter. Car les échanges intra-CEDEAO, l’Institution de Financement du Développement y croit. Ou du moins, parie sur l’effet structurant des infrastructures pour débloquer le potentiel. Depuis son démarrage opérationnel en 2004 – héritière du Fonds CEDEAO créé en 1975 – la Banque affiche 4,27 milliards d’unités de compte (? 5,68 milliards $) d’approbations cumulées pour 389 projets, dont 3,41 milliards UC (? 4,54 milliards USD) d’engagements en cours couvrant 194 projets actifs.

Près de 44 % de ces engagements concernent les infrastructures, ce qui confirme “la vocation intégratrice de l’institution”, comme le rappelle un de ses cadres.

Routes, ponts, ports, centrales électriques ou voies ferrées : la Banque joue les architectes de l’intégration matérielle. Elle est impliquée dans la réhabilitation de plusieurs axes stratégiques : Abidjan–Ouagadougou, Dakar–Bamako, Cotonou–Niamey, Lomé–Ouagadougou et participe au projet d’autoroute Abidjan–Lagos (environ 1 030 km), le plus important corridor côtier ouest-africain.

En 2024, près d’un tiers (31,56 %) des approbations totales de la BIDC ont été consacrées à des infrastructures d’intégration régionale dans les secteurs des transports et de l’énergie, représentant plus de 350 millions UC (465,3 millions USD) approuvées et près de 300 millions UC (398,8 millions USD) engagées, selon le rapport annuel de l’institution. Ces financements portent sur des projets routiers, ferroviaires, aéroportuaires et électriques destinés à renforcer la connectivité et la compétitivité régionales.
En juin 2025, la Banque a encore approuvé environ 174 millions d’euros et 125 millions USD de nouveaux financements dans au moins quatre pays, pour des projets couvrant des routes, des zones industrielles, des barrages et des interconnexions électriques.

Route Kamtchamba – Sadori (Togo), financée par la BIDC.

PME, commerce : les autres maillons faibles à renforcer

Cependant, connecter les pays ne suffit pas si les économies ne produisent pas ni si elles n’échangent pas. Consciente de cet impératif, la BIDC diversifie désormais son action autour de trois leviers majeurs : le financement des PME, la facilitation du commerce et la transition énergétique, selon une source interne.

L’année 2024 a marqué un tournant industriel dans la stratégie de la Banque. Plus d’un tiers de ses nouveaux engagements (36,15 %, soit 119,58 millions UC — 158,9 millions USD) ont été consacrés à l’industrialisation, un niveau inédit depuis plusieurs exercices. Ce mouvement témoigne d’une volonté affirmée de stimuler la transformation locale, de renforcer les chaînes de valeur régionales et de réduire la dépendance aux importations.

Les priorités s’étendent des zones industrielles aux unités de transformation agroalimentaire, en passant par le soutien aux PME manufacturières dans les pays enclavés, comme l’a confié à l’Agence Ecofin, Dr Georges Donkor Agyekum, Président de l’institution. « Nous investissons désormais dans la production régionale autant que dans la connectivité, pour augmenter la valeur ajoutée ».

Intensifier le financement du "trade"

Une stratégie industrielle prend tout son sens lorsque la production trouve des débouchés. C’est pourquoi la BIDC complète désormais ses financements productifs par des instruments destinés à fluidifier les échanges et à soutenir le commerce intrarégional. Pour la Banque, industrialiser sans faciliter les échanges reviendrait à apporter une solution incomplète au problème du faible niveau du commerce intrarégional. 

C’est dans cet esprit que la Banque intensifie ses opérations de trade finance. Lors de sa 88e session du 11 juillet 2024, elle a été autorisée à contracter auprès de Standard Chartered Bank Londres un prêt à court terme pour le commerce, garanti par l'Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), d’un montant maximal de 140 millions USD, un outil conçu pour soutenir la liquidité des transactions régionales et réduire le coût du financement des échanges.

Un an plus tôt, la Banque africaine de Développement (BAD) avait approuvé une ligne de crédit pour le financement du commerce de 50 millions USD et 50 millions EUR. Son objectif : élargir l’accès au financement du commerce, notamment pour les entreprises privées des chaînes de valeur agricoles, souvent entravées par le manque ou la faiblesse de garanties (financière, réelle et/ou personnelle).  

Ces instruments viennent s’ajouter à un prêt de 50 millions d’euros signé avec AfreximBank (2023–2027) pour renforcer les activités de financement du commerce et le soutien au secteur privé, ainsi qu’à plusieurs lignes conclues avec India Exim Bank, pour plus d’un milliard USD depuis 2006, utilisées en grande partie pour financer des projets d’interconnexion électrique facilitant le commerce d’électricité entre les États membres.

Ces ressources se concrétisent entre autres par des lignes de crédit ciblées en faveur des institutions financières locales, la BIDC agissant à la fois comme banque d’investissement et facilitatrice du commerce.

En 2024, elle a autorisé une ligne de 20 millions d’euros à la Banque pour le Commerce et l’Industrie (BCI) en Guinée, destinée à soutenir les transactions commerciales régionales.

En 2025, la Banque a également accordé une facilité de 40 millions USD à Vista Bank Guinée et une autre de 10 millions USD à Vista Bank Sierra Leone, afin de renforcer le financement du commerce et d’appuyer les PME actives dans les échanges intrarégionaux.

 

Pari sur la durée

Alors que les dynamiques politiques fragilisent l’espace communautaire, la BIDC continue de financer des projets à long terme, misant sur une intégration « par les faits ». En septembre 2025, le Conseil d’Administration a approuvé 308 millions USD de financements dans les secteurs de l’agro-industrie et des infrastructures, comme pour confirmer la ligne défendue par son Président, pour qui la BIDC « finance aujourd’hui les conditions de la stabilité économique régionale de demain ».

La Zone de Libre-Echange Continentale africaine (ZLECAf), encore balbutiante, reste dans la ligne de mire. Selon son plan stratégique révisé consulté par l’Agence Ecofin, la Banque ambitionnait de mobiliser jusqu’à 1 milliard $ pour accompagner la région dans la mise en œuvre des protocoles de la ZLECAf : connectivité, facilitation commerciale, soutien aux entreprises.

Fiacre E. Kakpo