Le rapport souligne que le corridor TAZARA (Tanzania-Zambia Railway Authority) se positionne comme un concurrent sérieux de celui de Lobito. Outre une réhabilitation complète prévue d’ici trois ans, cet axe reliant les mines de cuivre de la Copperbelt zambienne au port tanzanien de Dar es-Salaam bénéficie d’un cadre institutionnel existant et d’une expérience opérationnelle éprouvée.
Présenté comme une voie de transport majeure reliant le port de Lobito en Angola aux régions minières de la RD Congo et de la Zambie, le corridor de Lobito suscite la prudence chez les acteurs économiques actifs dans la région, en raison des incertitudes qui entourent la viabilité de son modèle économique, de l’absence d’une autorité publique transnationale dédiée à sa gouvernance et du retard pris dans la réalisation de la section zambienne du projet, selon un rapport publié le lundi 17 novembre 2025 par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Intitulé « Géoéconomie locale du corridor de Lobito : mesurer l’impact réel pour les acteurs économiques », le rapport rappelle que l’histoire du corridor remonte à l’époque coloniale, lorsque le chemin de fer de Benguela, construit au début du XXe siècle, reliait les mines de cuivre et de cobalt de l’intérieur du continent africain au port atlantique de Lobito, en Angola.
Après avoir servi de colonne vertébrale à l’économie de la région durant des décennies, l’exploitation de ce corridor avait été interrompue à cause de la guerre civile en Angola. Ce n’est qu’après la fin des hostilités, au début des années 2000, qu’une entreprise chinoise a procédé à la reconstruction de la ligne, avant la concession actuelle. La ligne ferroviaire de 1300 km reliant le port de Lobito à la ville de Luau, près de la frontière avec la RDC, a ainsi été rénovée.
Plus récemment, l’implication d’acteurs privés a permis de relancer le projet de manière plus ambitieuse. Un contrat de concession de 30 ans a été signé, en 2022, entre le gouvernement angolais et un consortium composé du négociant en matières premières Trafigura, de l’opérateur ferroviaire Vecturis et du groupe portugais de construction Mota-Engil. Baptisé Lobito Atlantic Railways (LAR), ce consortium s’est engagé à investir 550 millions de dollars pour moderniser les infrastructures et exploiter le corridor. Le projet est également soutenu par de nombreux autres bailleurs de fonds, dont les États-Unis, l’Union européenne et la Banque africaine de développement. Au total, le projet d’infrastructures transfrontalier concentre désormais plus de 10 milliards de dollars d’engagements d’investissement émanant d’acteurs publics et privés.
Dépendance à un seul opérateur minier
Sur le terrain, les principales options pour l’export des minerais extraits dans la Copperbelt en Zambie et le Katanga en RDC restent le corridor ferroviaire TAZARA (Tanzania-Zambia Railway Authority), et les routes terrestres menant vers les ports de Durban en Afrique du Sud, de Beira au Mozambique et de Dar es-Salaam en Tanzanie. Et pour cause : la partie zambienne du corridor de Lobito demeure encore à l’état de planification. Le ministre zambien des Transports et de la logistique, Frank Tayali, a indiqué récemment que la section zambienne « Jimbe-Chingola » du corridor de Lobito pourrait voir le lancement des travaux au troisième trimestre 2026, avec un montage financier encore en négociation.
Sans cette jonction, Lobito reste un axe virtuel pour les opérateurs économiques actifs en Zambie. Les grandes mines - Kansanshi, Sentinel, Lumwana, Lubambe, Mopani - n’ont annoncé aucun plan concret d’exportation via ce corridor. Elles continuent d’utiliser les routes et corridors éprouvés vers Dar es-Salaam et Durban.
Le rapport indique également que le corridor de Lobito ne commence réellement à prendre forme qu’en RD Congo, où la mine Kamoa-Kakula, opérée par la compagnie minière canadienne Ivanhoe et son homologue chinois Zijin Mining, a signé en 2024 un accord de capacité avec le consortium Lobito Atlantic Railways prévoyant l’expédition de 120 000 à 240 000 tonnes de cuivre par an. Une première cargaison test de cuivre concentré, expédiée fin 2023, a mis huit jours pour atteindre le port de Lobito. Trafigura, membre du consortium, a également signé des accords logistiques à long terme pour acheminer le cuivre via Lobito. Jusqu’ici, aucun autre grand opérateur minier présent en RDC n’a officiellement manifesté son intention d’utiliser ce corridor. Les acteurs chinois, pourtant majoritaires dans la production régionale continuent d’utiliser principalement les routes vers l’océan Indien, où leurs chaînes logistiques et partenaires portuaires sont déjà établis.
La dépendance du corridor de Lobito à un seul opérateur pose un risque systémique : sans diversification des volumes ni engagement d’autres producteurs majeurs, le modèle économique reste fragile.
La circonspection des opérateurs économiques vis-à-vis du corridor du Lobito s’explique aussi par le fait que les avantages comparatifs du projet, en l’occurrence une réduction potentielle des temps de transit et une meilleure fiabilité du transport minier, restent pour l’instant limités au territoire congolais. Pour la mine Kamoa-Kakula, le gain logistique est significatif : 8 jours contre un minimum de 25 jours par route vers Durban ou Dar es-Salaam, selon les communiqués officiels d’Ivanhoe.
Absence d’une structure de pilotage tripartite
En Zambie, aucune donnée publique ne permet encore de mesurer les économies réelles (carburant, manutention, assurance, pertes). L’absence d’un barème de coût par tonne rend l’impact économique impossible à quantifier. Les entreprises n’intègrent donc pas encore Lobito dans leurs modèles financiers.
À plus long terme, le corridor pourrait permettre l’émergence de hubs de transformation ou de zones industrielles (Chingola, Luau, Huambo) capables de rapprocher les activités de raffinage des sites miniers. Cela suppose néanmoins des politiques d’incitation : fiscalité attractive, cadre environnemental clair, et raccordement énergétique fiable.
La prudence des acteurs économiques locaux serait également liée au fait que le corridor de Lobito est perçu comme un projet occidental qui pourrait perturber les relations nouées avec la Chine, qui occupe une position dominante dans le secteur minier congolais. Sur les 19 principales mines de cuivre du Katanga, 15 sont opérées et/ou majoritairement financées par des conglomérats chinois. « Il est beaucoup plus simple de faire affaire avec les Chinois. Nous n’utiliserons pas un projet lié à l’Occident si cela compromet nos relations commerciales avec la Chine », a d’ailleurs déclaré un acteur du secteur à Lubumbashi.
S’agissant des opérateurs chinois, ceux-ci adopteront probablement le corridor si celui-ci devient plus compétitif. En réalité, la Chine est déjà indirectement impliquée : elle a fourni le matériel roulant, participé à la reconstruction de la ligne Benguela et reste l’un des principaux utilisateurs anticipés du corridor, du fait de son rôle dominant dans l’achat et le raffinage des minerais exportés.
Joe Biden visite le terminal portuaire de Lobito en Angola
Sur un autre plan, le projet du corridor de Lobito se heurte à une difficulté structurelle souvent sous-estimée : il implique trois pays aux langues administratives et systèmes juridiques différents, sans organe de coordination formel ni autorité publique transnationale dédiée à sa gouvernance. Cette absence de structure de pilotage tripartite rend complexe la mise en œuvre d’une vision commune, et ralentit la définition de règles uniformes pour les opérateurs économiques. A contrario, le corridor de Tazara, qui traverse deux pays anglophones (Zambie et Tanzanie), bénéficie d’un cadre institutionnel existant et d’une expérience opérationnelle éprouvée. Fin septembre dernier, la Chine a signé un accord de 1,4 milliard USD avec Lusaka et Dodoma pour une réhabilitation complète de ce corridor, avec un objectif de pleine opérationnalité d’ici trois ans. À terme, Tazara sera ainsi un concurrent logistique direct, opérationnel avant Lobito, et surtout perçu comme moins risqué pour les acteurs économiques.
Walid Kéfi
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