À Londres, le procès des anciens employés de Glencore s’ouvre sur fond de corruption en Afrique

Publié le 20/11/2025

Trois ans après la condamnation de Glencore pour corruption dans plusieurs pays africains, la justice britannique rouvre le dossier dans le cadre d’un procès visant d’anciens employés du groupe. Ils sont soupçonnés d’avoir facilité l’obtention de contrats pétroliers en Afrique de l’Ouest. 

Le lundi 10 novembre 2025, quatre anciens cadres de Glencore ont comparu devant la Crown Court Southwark à Londres. Martin Wakefield, David Perez, Paul Hopkirk et Ramon Labiaga ont plaidé non coupable aux accusations portées par le Serious Fraud Office (SFO), l’agence britannique chargée de la lutte contre la fraude et la corruption. Selon les procureurs, ils auraient participé entre 2007 et 2014, à un réseau de paiements illicites destinés à des responsables publics au Nigeria, au Cameroun et en Côte d’Ivoire.

Les chefs d’accusation varient. Martin Wakefield est poursuivi pour trois affaires distinctes de corruption impliquant des versements présumés à des responsables publics au Nigeria, au Cameroun et en Côte d’Ivoire. David Perez est accusé de deux affaires similaires liées aux opérations de Glencore au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Paul Hopkirk et Ramon Labiaga sont, eux, poursuivis pour un seul chef d’accusation chacun, concernant le Nigeria. En outre, Wakefield et Perez sont également mis en cause pour falsification de documents commerciaux entre 2007 et 2011, notamment de factures destinées à justifier de faux frais de services.

Deux autres anciens cadres du groupe, Alexander Beard et Andrew Gibson, déjà inculpés pour des faits similaires, doivent également comparaître. Lors d’une première audience en 2024, ils avaient annoncé leur intention de plaider non coupable. « Nous poursuivons l’avancement de notre dossier de corruption visant six anciens employés de Glencore, en vue du procès prévu pour le 4 octobre 2027 », a déclaré lundi un porte-parole du SFO, selon des propos rapportés par Bloomberg. D’après Reuters, le procès de 2027 devrait durer jusqu’à six mois. 

Une condamnation historique en 2022

L’affaire trouve son origine dans les enquêtes menées il y a quelques années par les autorités américaine et britannique. En mai 2022, leurs communiqués respectifs révélaient que Glencore et ses filiales avaient versé près de 79,6 millions USD (environ 68,8 millions €) à des sociétés intermédiaires entre 2007 et 2018, pour obtenir ou conserver des contrats pétroliers au Nigeria, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et en Guinée équatoriale. Les enquêtes dévoilent un système de dissimulation fondé sur de faux contrats de conseil, des factures gonflées et des sociétés-écrans servant à rémunérer des fonctionnaires étrangers.

Le même mois, l’entreprise a accepté un deal avec les autorités américaines pour verser 1,1 milliard USD (environ 951 millions €) afin de « mettre un terme à un système de dix ans de corruption de fonctionnaires étrangers dans sept pays, ainsi qu'à des accusations distinctes selon lesquelles une division commerciale aurait manipulé les prix du mazout dans des ports d'expédition américains ».

En juin 2022, à Londres, Glencore Energy UK Ltd, une filiale du groupe, plaide coupable devant la Southwark Crown Court. L’entreprise reconnaît avoir versé des pots-de-vin entre 2011 et 2016 pour obtenir un accès privilégié au pétrole dans cinq pays, notamment le Nigeria, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Guinée équatoriale et le Soudan du Sud. Le 3 novembre de la même année, le tribunal inflige une amende de 276 millions de livres sterling, soit environ 314 millions d'euros, assortie d’une confiscation de 93 millions de livres (environ 106 millions €). « La corruption faisait clairement partie de la culture d'un certain nombre de membres du personnel du bureau d'Afrique de l'Ouest. Les chefs d'accusation représentent une infraction sophistiquée qui a eu lieu sur des périodes prolongées se mesurant en années », avait déclaré Peter Fraser, le juge qui a prononcé le verdict.

Le procès attendu en 2027 ouvrira un nouveau chapitre de cette affaire. Après la condamnation du groupe en 2022, la justice britannique s’attache désormais à identifier les personnes susceptibles d’avoir directement participé aux opérations de corruption révélées. Les audiences devront éclairer la manière dont ces transactions ont été décidées, exécutées et dissimulées, et déterminer si elles relevaient d’initiatives isolées ou d’un mode de fonctionnement plus étendu au sein du bureau ouest-africain.

Les répercussions de l’affaire dépassent le seul cadre judiciaire britannique. Au Cameroun, la Société nationale des hydrocarbures (SNH) a saisi en 2023 le Tribunal criminel spécial (TCS) pour identifier d’éventuels complices locaux, estimant que « l’issue de la procédure à Londres permettra l’accélération des enquêtes au niveau du TCS ». Selon les aveux de Glencore, environ 7 milliards FCFA (environ 10,7 millions €) de pots-de-vin auraient été versés à des responsables de la SNH et de la Société nationale de raffinage (Sonara) pour faciliter les opérations de Glencore dans le pays. La SNH affirme avoir demandé, sans succès, au groupe de lui communiquer les noms de ses cadres impliqués dans l’affaire.

Si Glencore n’est pas concernée par la nouvelle procédure ouverte à Londres, elle ramène sur le devant de la scène une affaire que le groupe cherche à oublier. Toujours actif sur plusieurs matières premières en Afrique, le négociant avait déjà conclu en août 2024 un accord avec la justice suisse pour mettre fin à une enquête sur des faits de corruption dans le secteur minier congolais. Après quatre années d’investigations, le parquet fédéral avait constaté un défaut de contrôle interne lors d’acquisitions réalisées en 2011.

Glencore avait accepté de verser une amende de 2 millions de francs suisses (environ 2,15 millions €) et 150 millions USD (environ 130 millions €) de dommages et intérêts, clôturant ainsi un autre volet de ses démêlés judiciaires.

Louis-Nino Kansoun, Agence Ecofin