Les obligations sénégalaises atteignent de nouveaux planchers, fragilisées par l’absence d’accord avec le FMI et les tensions au sein de l’exécutif. Les marchés redoutent un durcissement budgétaire difficile à appliquer et un risque prégnant de restructuration.
Les obligations souveraines du Sénégal poursuivent leur chute sur les marchés internationaux, alimentant les inquiétudes autour de la situation financière du pays. Plusieurs titres en euros et en dollars ont atteint cette semaine leurs plus bas niveaux historiques, dans un contexte marqué par l’absence d’accord avec le Fonds monétaire international (FMI) et des tensions politiques croissantes à Dakar.
Selon les données de Tradeweb, l’obligation sénégalaise arrivant à échéance en 2031 a poursuivi son recul pour tomber à 68,5 cents USD, soit une décote de plus de 30 % par rapport à sa valeur nominale de 100 cents USD. D’autres maturités de long terme se négocient désormais sous les 70 cents, un seuil à partir duquel les analystes considèrent généralement qu’une dette est « en difficulté ». À ces niveaux, le marché envoie le signal qu’il juge le risque de remboursement intégral nettement plus élevé, ce qui alimente les spéculations sur une possible restructuration si la situation financière venait à se détériorer davantage.
Ce recul brutal des obligations s’accompagne d’une envolée du coût d’assurance contre un défaut de paiement. Concrètement, les investisseurs qui souhaitent se protéger contre le risque de voir le Sénégal ne plus honorer ses échéances achètent des credit default swaps (CDS). Plus ce risque augmente, plus ces contrats deviennent chers.
Or, depuis le début du mois, le prix de ces CDS sénégalais a bondi à 1 120 points de base, contre 750 points auparavant. Cela signifie que les marchés exigent désormais une prime beaucoup plus élevée pour se couvrir, signe qu’ils jugent le risque de défaut nettement plus important. Autrement dit, même si le Sénégal continue d’assurer qu’il ne restructurera pas sa dette, les investisseurs, eux, anticipent une situation de plus en plus fragile.
Cette dégradation intervient alors que la mission du FMI dépêchée à Dakar la semaine dernière est repartie sans annoncer de nouveau programme de financement. Un silence qui a accentué les doutes des investisseurs, déjà fragilisés par les révélations de l’an passé sur plusieurs milliards de dollars de dettes jusque-là non déclarées, faisant grimper le ratio dette/PIB du Sénégal à plus de 130 %. Le climat s’est encore tendu lorsque le Premier ministre Ousmane Sonko a affirmé, ce week-end, que le FMI poussait le pays à engager une restructuration de sa dette, une option qu’il a immédiatement rejetée, la qualifiant de « disgrâce ». Des propos qui ont rapidement pesé sur les marchés, certains analystes estimant que le risque de restructuration redevient plausible.
Le différend avec le FMI s’ajoute à un autre facteur de nervosité pour les investisseurs : les divergences politiques apparues ces derniers jours au sein de la coalition au pouvoir. Alors que le président Bassirou Diomaye Faye a annoncé la désignation de l’ancienne Première ministre Aminata Touré pour diriger la coalition présidentielle, le parti Pastef, dirigé par Ousmane Sonko, a réaffirmé son soutien à une autre figure, Aïssatou Mbodj. Une contradiction qui alimente les interrogations sur la cohésion de l’exécutif, quelques mois seulement après l’arrivée au pouvoir du tandem Faye–Sonko.
Pour les marchés, cette situation politique confuse affaiblit la capacité du gouvernement à mener les discussions techniques nécessaires à un accord avec le FMI. Certains acteurs, comme le gestionnaire d’actifs Aegon Asset Management, estiment que l’absence de programme met également en péril d’autres sources de financement multilatéral. Dans une note, la banque sud-africaine RMB avertit que si les mesures budgétaires indispensables s’avèrent trop difficiles à appliquer, une restructuration pourrait s’imposer plus tôt que prévu.
Le Sénégal, longtemps considéré comme l’un des émetteurs les plus sûrs d’Afrique de l’Ouest, se retrouve désormais confronté à une défiance rarement observée, à un moment crucial pour sa stabilité financière.
Fiacre E. Kakpo