Les autorités nigérianes ont répondu aux déclarations de Donald Trump évoquant une intervention militaire des États-Unis pour « protéger les chrétiens persécutés ». Abuja affirme sa souveraineté, rejette l’idée d’un conflit religieux et appelle à un dialogue sur la sécurité et la coopération antiterroriste.
Le Nigeria a opposé une réponse ferme, mais mesurée aux propos du président des États-Unis, Donald Trump, qui a suggéré que Washington pourrait envoyer des troupes dans le pays pour « protéger les chrétiens persécutés ». Le président Bola Ahmed Tinubu (photo) a indiqué que son gouvernement restait disposé à rencontrer Donald Trump pour discuter de coopération sécuritaire et de lutte antiterroriste, mais que tout partenariat devait respecter la souveraineté nationale.
Son porte-parole, Daniel Bwala, a présenté les propos de Trump comme une possible « tactique de négociation » et rappelé que le Nigeria coopérait déjà étroitement avec les États-Unis dans la lutte contre les groupes islamistes, à travers le partage de renseignements et l’achat d’armes.
Les autorités nigérianes ont rejeté la notion de « génocide chrétien », qu’elles jugent inexacte, soulignant que la violence au Nigeria touche des populations de toutes confessions. Elles ont réaffirmé les garanties constitutionnelles de liberté religieuse et appelé à un dialogue destiné à corriger ce qu’elles qualifient de « malentendus » sur la situation sécuritaire du pays.
S’exprimant devant des journalistes le 1?? novembre 2025, Donald Trump a affirmé que « des nombres record de chrétiens sont tués au Nigeria » et a averti que les États-Unis pourraient « déployer des troupes ou mener des frappes aériennes » si Abuja ne réagissait pas. Il a déclaré avoir demandé au Pentagone de préparer « des options » pour stopper ce qu’il a appelé « le massacre de masse par des terroristes islamistes ». Il a également menacé de suspendre l’aide américaine.
Bien que les États-Unis aient longtemps classé le Nigeria parmi les « pays particulièrement préoccupants » en matière de liberté religieuse, ce statut n’autorise que des mesures diplomatiques ou des sanctions, pas une intervention militaire. Des responsables du Pentagone ont confirmé l’existence d’une « planification de contingence », sans en préciser la nature. Les observateurs aux États-Unis et au Nigeria considèrent pour la plupart ces déclarations comme rhétoriques, destinées à un auditoire politique interne plus qu’à annoncer une action militaire concrète.
Un conflit complexe, au-delà de la religion
La population nigériane est religieusement équilibrée : les musulmans représentent environ 50 à 53 % de la population et les chrétiens 45 à 49 %. Le nord est majoritairement musulman, le sud majoritairement chrétien, mais les deux communautés sont profondément imbriquées. Dans le nord et le centre du pays, des insurrections islamistes frappent depuis plus d’une décennie des églises, des mosquées, des marchés et des écoles, causant des milliers de morts et de déplacés parmi les civils, chrétiens comme musulmans.
Si les communautés chrétiennes demeurent particulièrement exposées dans certaines régions, le conflit n’est pas une campagne unilatérale contre elles. Douze États du nord appliquent la charia dans les affaires civiles, et parfois pénales, une situation qui suscite un débat sur sa compatibilité avec la Constitution laïque du Nigeria, mais ne constitue pas une persécution d’État. Les autorités estiment que qualifier la situation de « génocide chrétien » occulte la souffrance partagée de toutes les communautés et les efforts militaires en cours pour contenir le terrorisme.
La présentation des chrétiens du Nigeria comme une minorité assiégée a été amplifiée par certains groupes de plaidoyer et médias occidentaux. Si des atrocités avérées ont été commises, elles sont souvent décrites de façon sélective, donnant l’impression d’une guerre religieuse plutôt que d’un conflit plus vaste, lié à l’insécurité, aux différends fonciers et à la pauvreté.
Des critiques à Abuja et à Washington estiment que ce cadrage profite à des réseaux conservateurs américains qui insistent sur la « persécution des chrétiens » dans le monde. Les estimations du nombre de victimes varient largement, et des actes de banditisme ou de violences communautaires sont parfois attribués à tort à des motifs djihadistes. Selon les responsables nigérians, ces exagérations, même animées de bonnes intentions, fragilisent la coopération antiterroriste entre les deux pays.
De la controverse politique aux intérêts économiques
Les déclarations de Donald Trump rappellent aussi celles qu’il avait tenues en 2018 sur les « meurtres à grande échelle de fermiers blancs » en Afrique du Sud. Il avait alors ordonné au département d’État d’« étudier la situation » en évoquant un prétendu « génocide blanc ». Des enquêtes indépendantes avaient par la suite infirmé ces accusations.
Des analystes relèvent un schéma récurrent : l’usage de rapports sélectifs ou exagérés sur la violence en Afrique pour soutenir des positions morales ou idéologiques à usage interne. En Afrique du Sud comme au Nigeria, des problèmes socio-économiques complexes sont ainsi reformulés en crises morales nécessitant une intervention étrangère, ce qui masque les dynamiques locales réelles.
Même en tant que président en exercice, Donald Trump dispose d’un pouvoir limité pour agir militairement sans l’aval du Congrès. Selon la législation américaine, seule cette institution peut déclarer la guerre. La « War Powers Resolution » de 1973 impose au président de notifier le Congrès dans les 48 heures suivant un déploiement et de retirer les troupes au bout de 60 jours sans autorisation formelle.
Sur le plan international, la Charte des Nations unies interdit l’usage de la force dans un autre État souverain sans son consentement ou une autorisation du Conseil de sécurité, sauf en cas de légitime défense. Le Nigeria n’a pas invité de troupes américaines, et continue de conduire lui-même ses opérations antiterroristes, avec un appui étranger limité à la formation et à la fourniture d’équipements.
Certains analystes estiment que cette controverse ne peut être totalement dissociée de l’importance croissante du Nigeria dans la compétition mondiale pour les terres rares et minéraux critiques, essentiels aux véhicules électriques, aux énergies renouvelables et aux technologies de défense. Le pays possède d’importants gisements de monazite riche en cérium, lanthane, néodyme et praséodyme, ainsi que de lithium, nickel, cobalt et cuivre. Beaucoup de ces ressources se trouvent dans des régions confrontées à l’insécurité.
Avec la domination chinoise sur le marché mondial, Washington cherche des sources alternatives. Les observateurs voient donc dans les récentes déclarations de Trump non seulement un discours humanitaire, mais aussi une possible dimension stratégique liée aux ressources. Le gouvernement nigérian a, pour sa part, annoncé des projets dans le secteur, dont une usine de traitement de 400 millions de dollars à Nasarawa et des politiques visant à encourager la transformation locale.
Idriss Linge
Edité par M.F. Vahid Codjia