Sur un marché du graphite en berne, les projets africains naviguent entre difficultés et optimisme

Publié le 03/11/2025

Le marché mondial du graphite est caractérisé depuis 2023 par une offre excédentaire en Chine, qui pèse sur les prix et l’attractivité de nouveaux projets. Les perspectives restent néanmoins favorables à long terme, notamment pour les acteurs en Afrique, qui se profilent comme alternatives à la domination de Pékin.

La compagnie canadienne NextSource Materials, qui exploite la mine de graphite Molo à Madagascar, annonçait le mercredi 29 octobre un accord pour une facilité de crédit pouvant atteindre 10 millions USD. Fournis par son principal actionnaire Vision Blue Resources, les fonds soutiendront le processus menant à la décision finale d’investissement pour la construction d’une usine d’anodes de batteries aux Émirats arabes unis.

Ce financement illustre les efforts consentis par les compagnies minières actives en Afrique pour poursuivre le développement de leurs projets de graphite, malgré un marché atone depuis plusieurs années.

L’excédent chinois pèse sur les producteurs en Afrique

Dans son rapport d’activités du troisième trimestre 2025 publié le mardi 28 octobre, Syrah Resources a une nouvelle fois décrit la situation difficile que traversent les producteurs de graphite. La compagnie australienne exploitant la mine de Balama au Mozambique, estime que les prix et la demande de graphite naturel sont pénalisés par la surabondance de graphite synthétique en provenance de Chine. Une Chine qui assure déjà 70 % de l’approvisionnement mondial en graphite naturel selon Benchmark Mineral Intelligence, les deux servant à la fabrication d’anodes pour batteries électriques. 

Dans son Global Critical Minerals Outlook 2025 publié en mai, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) indique que les fabricants d’anodes privilégient désormais le graphite synthétique, dont la consommation a en effet bondi de 30 % en 2024, contre une hausse globale de 8 % seulement pour l’ensemble du marché. « L'offre d'anodes synthétiques connaît une croissance rapide afin de répondre à la demande croissante de graphite, ce qui fait baisser les prix des anodes bien en dessous des moyennes historiques », remarque l’institution. 

En juillet 2024, le prix du matériau d’anode en graphite naturel est ainsi tombé sous celui de son équivalent synthétique, une première en plus de trois ans selon Benchmark. Les prix du graphite ont reculé de 20 % sur l’ensemble de cette année-là, indique l’AIE. Cette crise a conduit Syrah Resources à réduire depuis 2023 l’exploitation de Balama, qui est la plus grande mine de graphite d'Afrique. L’entreprise fonctionne désormais par phases, ajustant la production de la mine à la demande de ses clients. 

Cette conjoncture affecte également d’autres producteurs en Afrique, dont NextSource, qui n’a toujours pas atteint la capacité nominale de 17 000 tonnes par an prévue pour Molo, plus de 2 ans après sa mise en service. En février 2025, la société affirmait progresser vers cet objectif, tout en reconnaissant que « les conditions de marché difficiles ont ralenti les progrès du projet ».

Des difficultés techniques et économiques

Outre la pression exercée par la chute des prix, plusieurs compagnies actives en Afrique doivent composer avec d’autres contraintes. Tirupati Graphite, qui exploite les mines de Vatomina et Sahamamy à Madagascar, connait depuis 2024 une succession de revers opérationnels. Cette année, ce sont des conditions météorologiques défavorables et des problèmes d’approvisionnement en pièces détachées qui freinent la production.

« Nous avons élaboré un plan complet de mesures correctives et d'augmentation de la capacité qui sera mis en œuvre au cours des prochains mois, et nous espérons donc toujours pouvoir atteindre l'objectif de production précédent de 1500 tonnes par mois d'ici décembre 2025. La baisse de la production a clairement un impact sur notre trésorerie », déclarait en août Mark Rollins, le président exécutif de la société basée au Royaume-Uni.

Ces défis rappellent ceux rencontrés par la compagnie australienne Walkabout Resources, placée sous administration volontaire en novembre 2024, quelques mois seulement après la mise en service de sa mine de graphite Lindi Jumbo en Tanzanie. Cette procédure, censée lui permettre de restructurer ses finances, s’est accompagnée de sa radiation de la bourse australienne (ASX), et peu d’informations circulent depuis lors sur la poursuite de l’exploitation de la mine.

Du côté de NextSource, un examen réalisé au premier trimestre 2025 a mis en évidence des problèmes techniques, notamment des inefficacités dans les circuits de broyage et de flottation, qui limitent la capacité de production annuelle de la mine Molo à 11 000 tonnes de graphite. La compagnie a décidé d’économiser les fonds devant servir à optimiser l’usine, afin de financer une prochaine phase d’agrandissement des installations. En attendant, la mine suit le même fonctionnement que Balama, avec des campagnes de production ponctuelles.

Plus généralement, les compagnies qui veulent construire de nouvelles mines de graphite en Afrique peinent à mobiliser le financement nécessaire à la mise en service de leurs projets. Ces difficultés de financement se vérifient particulièrement en Tanzanie, où plusieurs projets majeurs stagnent, faute de capitaux. C’est le cas avec Ryzon Materials (anciennement Magnis Energy) pour son projet Nachu, ou EcoGraf pour son projet Epanko 

Des perspectives favorables malgré tout

Malgré les difficultés rencontrées, l’optimisme demeure chez les compagnies minières actives sur le graphite en Afrique, comme avec Black Rock Mining, qui opère le projet Mahenge en Tanzanie. En octobre 2025, la société a lancé les travaux préparatoires à la construction de la mine, qui devrait démarrer une fois le financement bouclé et la décision finale d’investissement prise. Trois institutions financières panafricaines, dont la Banque de développement de l’Afrique australe, ont déjà approuvé des prêts et facilités de crédit totalisant plus de 200 millions USD au profit de l'entreprise.

NextSource a aussi publié le mois dernier une étude technique et économique pour son usine d’anodes de batteries aux Émirats arabes unis. Le projet nécessite un investissement de 291 millions USD que la compagnie entend mobiliser afin de lancer la production d’ici fin 2026. Du côté du britannique Blencowe Resources, l’objectif de produire du graphite à la mine ougandaise Orom-Cross d’ici 2026 est maintenu, en dépit de la situation actuelle. La compagnie a indiqué en septembre 2025 avoir mandaté le cabinet de conseil sud-africain WaterBorne Capital pour structurer le financement nécessaire à la construction de la mine.

Ces engagements financiers reflètent la confiance persistante des investisseurs dans le potentiel à long terme du graphite, malgré la conjoncture actuelle. Selon l’AIE, la demande mondiale pour ce minéral devrait dépasser 10 millions de tonnes d’ici 2035, soit le double du niveau actuel. Pour rappel, le graphite est le minéral le plus présent en termes de poids dans un véhicule électrique, avec environ 60 kg par voiture.

Emiliano Tossou

Edité par : Feriol Bewa 

Lire aussi: 29/10/2025 - Relancée en juin, la mine mozambicaine Balama a livré 26 000 tonnes de graphite au 3e trimestre 2025