Caoutchouc local et importations de pneus : le paradoxe d’un marché africain aux besoins croissants

Publié le 02/11/2025

Alors que la demande en pneus explose dans une Afrique où le parc automobile est en pleine croissance, le continent reste assez dépendant des importations. Pourtant, la disponibilité de caoutchouc naturel dans plusieurs pays peut permettre une production locale.

La pénurie de pneus observée dans certains pays africains, dont l’Algérie, soulève des questions sur l'industrie continentale du pneumatique. Immobilisation des véhicules, allongement des délais de livraison, hausse des coûts, etc., ces perturbations, bien que ponctuelles, ont des répercussions économiques notables dans le transport routier. D'un autre côté persiste la facture des importations annuelles, principalement en provenance d’Asie, d’Europe et d’Amérique.

Une demande en pleine croissance

Selon la firme d'Analyse et de Conseil Mordor Intelligence, le marché africain des pneus est évalué à 7,10 milliards USD en 2025 et devrait atteindre 8,94 milliards USD d’ici 2030, avec un taux de croissance annuel composé (CAGR) de 4,72 %. L’Algérie concentrait 26,75 % des parts de ce marché en 2024, tandis que la République démocratique du Congo affiche le CAGR le plus élevé, soit 6,21 % jusqu’en 2030. Ces progressions sont notamment alimentées par l’augmentation constante du nombre de véhicules en circulation, portée à la fois par la croissance démographique et l’émergence d’une classe moyenne dans les économies à développement stable.

D’après le cabinet de conseil allemand Africon, le parc africain de véhicules qui compte environ 55 millions d'unités actuellement, devrait croître de 214 %, atteignant 118 millions d’unités entre 2025 et 2050. Le marché est notamment divisé en deux-roues, trois-roues, voitures particulières, véhicules utilitaires légers (LCV), véhicules utilitaires moyens et lourds (M & HCV), et véhicules hors route (OTR). Le segment des deux-roues est le moins exposé au problème. 

Une étude présentée cette année au Forum économique mondial par les chercheurs africains Signe et Muniyati révèle que le continent enregistre une demande annuelle moyenne de 2,4 millions de voitures particulières et 300 000 véhicules utilitaires. Des pays comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc et le Nigeria se classent parmi les plus importants pôles de ce marché. A cette demande évolutive s’ajoute l’utilisation particulièrement prolongée des véhicules en Afrique, en général bien au-delà des délais d’amortissement.

Dans son rapport « Safe and Clean Vehicles for Healthier and More Productive Societies », la Banque mondiale affirme quant à elle que les véhicules d’occasion exportés vers l'Afrique affichent parfois un âge supérieur à 20 ans, ce qui implique des besoins d'entretien fréquent, avec plusieurs cycles de changement de pneus tout le reste de leur vie. Contrairement aux pays développés où les cycles de remplacement sont largement motivés par l’efficacité, la demande sur le continent est entre autres motivée par l’usure causée par les terrains accidentés et les routes mal entretenues, ce qui offre une forte opportunité de marché secondaire pour les pneus toutes saisons et les pneus à usage intensif. 

Des acteurs de tous les horizons, mais une faible participation locale

Grâce à leurs prix compétitifs, les marques chinoises concurrencent les fournisseurs historiquement européens et japonais. Des acteurs comme Zhongce Rubber, Triangle Tyre, Sailun ou encore Linglong gagnent des parts de marché, tant par la distribution que par l’implantation d’usines locales qui leur permettent de réduire les coûts à l’arrivée. En parallèle, les grandes marques comme Michelin, Bridgestone et Continental continuent de capitaliser sur leur réputation en matière de durabilité et d’innovation technologique, tout en ciblant principalement une clientèle urbaine haut de gamme.

Sur ce marché, d’autres marques américaines, indiennes et russes tentent d'émerger, avec quelques rares fabricants africains. Ces derniers, souvent des unités de production délocalisées par des équipementiers étrangers ou des partenariats avec des sociétés locales, sont principalement  implantés dans les grands pôles automobiles du continent, notamment au Maroc, en Afrique du Sud et en Algérie. Le Burkina Faso se distingue par ailleurs comme le seul pays d'Afrique de l’Ouest abritant une usine de fabrication de pneus pour véhicules à 4 roues.

Les évolutions récentes confirment la montée en puissance de la Chine, qui multiplie les investissements sur le continent.  En août dernier, Sailun a annoncé un investissement de 1 milliard USD pour construire en Egypte une usine d’une capacité annuelle de 10 millions de pneus. Quelques semaines plus tôt, un partenariat avait été signé entre l’entreprise algérienne El Hadj Arabi Industries et Doublestar pour ériger une usine d’une capacité initiale de 7 millions de pneus par an, extensible à 22 millions. Au Kenya, où l’usine Sameer Africa a fermé en 2024 après une première cessation d’activité en 2016, un autre projet a été engagé à travers un accord signé avec Shandong Linglong Tire Co. Ltd.

Toutefois, malgré le déficit déjà criard de l’offre globale, une partie des pneus fabriqués localement est exportée, certains équipementiers opérant dans le cadre d’accords de sous-traitance avec les constructeurs automobiles.

Une autonomie progressive possible grâce aux ressources locales

L’Afrique dispose en revanche du potentiel nécessaire pour amorcer son autonomie. La production de caoutchouc naturel, matière première essentielle à la fabrication de pneus, constitue son principal atout. Des pays comme la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Cameroun, le Gabon, la RDC et le Ghana figurent parmi les producteurs africains. Au regard des chiffres officiels, la production annuelle ouest-africaine représente à elle seule 15% des volumes mondiaux. Une base solide pour le développement d’une chaîne de valeur locale.

Selon certains observateurs, cette chaîne pourrait se matérialiser à deux niveaux. D’une part, la mise en place d’usines de production de pneus permettrait de transformer localement le caoutchouc naturel en produits finis, réduisant la dépendance aux importations et limitant la facture des achats extérieurs. D’autre part, le développement de petites unités de reconditionnement de pneus d’occasion pourrait répondre à la forte demande du marché de la seconde main. Ces initiatives contribueraient non seulement à renforcer l’industrie locale, mais aussi à créer des emplois, à stimuler l’innovation technologique et à favoriser une économie circulaire autour des pneus.

Des défis techniques et structurels 

Certains obstacles structurels et techniques se dressent néanmoins sur le chemin. La production de caoutchouc synthétique, indispensable pour certains types de pneus, reste quasi inexistante dans une Afrique qui dépend donc toujours des importations sur ce segment. La fabrication locale nécessite aussi d'importants investissements dans des infrastructures industrielles modernes, capables de répondre aux normes internationales en matière de sécurité et de performance.

L’accès à des matériaux comme le fil d’acier, les renforts textiles et les additifs chimiques reste aussi limité, ce qui pourrait alourdir les coûts de production. Enfin, la formation et la disponibilité de compétences techniques spécialisées, ainsi que la mise en place d’un cadre réglementaire et normatif solide, seront essentielles pour garantir la durabilité et la compétitivité des initiatives locales. Dans tous les cas, entre opportunités d’autonomisation et obstacles techniques, l’avenir de l’industrie africaine du pneumatique dépendra de la capacité à bâtir une véritable chaîne de valeur intégrée.

Henoc Dossa 

Edité par : Feriol Bewa