En octobre, la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde, l'Organisation panafricaine des agriculteurs, et Agriculteurs français et développement international publiaient leur « Baromètre des agricultures africaines ». Voici ce qu’il faut retenir en 4 points sur la chaîne de valeur laitière du continent.
20% du cheptel bovin, mais 5% de la production mondiale de lait
La production laitière a augmenté de 17 % en Afrique entre 2013 et 2023, passant de 45,5 à 53,2 millions de tonnes. Cette offre provient essentiellement des vaches qui représentent 79 % du stock, mais aussi d’autres animaux, brebis, bufflonnes, chèvres et chamelles notamment. Malgré cette croissance sur la dernière décennie, ce volume ne représente encore que 5 % de l’offre mondiale, bien que l’Afrique abrite 20 % du cheptel bovin de la planète.
Cet écart s’explique notamment par les systèmes de production extensive et une faible productivité des animaux. Au Sénégal par exemple, le maximum de rendement se situe à 4 litres par jour contre 20 litres pour des races importées. Par ailleurs, en Éthiopie qui compte le plus important cheptel bovin du continent africain (70 millions de têtes), la productivité laitière est de seulement 1,5 litre par vache et par jour.
7,5 milliards USD d’importations en 2023
Avec la faiblesse de l’offre, les importations de produits laitiers ont fortement augmenté pour faire face à la croissance de la demande, sous l’effet de l’essor démographique et de l’urbanisation. Le continent a ainsi acheté pour 7,5 milliards USD de denrées, principalement des poudres de lait traditionnelle, des poudres de lait enrichies en matières grasses végétales (Fat-filled Milk Powder-FFMP), et des poudres infantiles (76 %).
Selon les estimations, les mélanges de poudre ré-engraissés constituaient par exemple les deux tiers des achats de produits laitiers en Afrique de l'Ouest et près de 70 % de la consommation de produits laitiers dans la plupart de ses capitales en 2019. L’Algérie reste néanmoins le principal marché africain, comptant pour 22 % du total et représentant le deuxième importateur mondial de lait en poudre derrière la Chine. Le pays le plus vaste du continent est suivi par l’Égypte (10 %), le Nigeria (9 %), la Libye (8 %), le Maroc (6,5 %) et le Sénégal (5 %).
La Nouvelle-Zélande est le premier fournisseur de produits laitiers en Afrique avec plus de 1 milliard USD d’exportations, suivie par les Pays-Bas, la France, l’Irlande et l’Allemagne.
L’Afrique de l’Est, locomotive de l’offre
De toutes les sous-régions africaines, celle orientale contribue le plus à la production laitière. La zone a affiché un volume de 25,4 millions de tonnes de lait en 2023, soit 48 % de l’offre continentale, et a connu la croissance la plus importante entre 2013 et 2023, soit 26 %.
Les principaux fournisseurs sont le Kenya, l’Éthiopie, le Soudan, la Tanzanie et le Soudan du Sud. Dans la région, l’Ouganda devient aussi un exportateur important de lait en poudre. Le pays a notamment signé un accord pour fournir ce produit à l'Algérie, une opération portant sur un stock d'une valeur estimée à 500 millions USD.
Des politiques volontaristes qui doivent suivre le rythme de la demande
De nombreux pays africains ont mis en place des politiques volontaristes pour soutenir la production agricole et animale, combinant subventions, investissements publics et programmes d’industrialisation. L’exemple de l’Algérie montre une stratégie interventionniste, avec d’importantes subventions aux éleveurs, la commercialisation de lait à prix réglementé, l’importation de génisses et le développement de structures laitières dans des zones désertiques. Certains pays ont choisi des approches plus orientées vers la compétitivité et l’intégration aux marchés mondiaux.
L’Afrique du Sud privilégie par exemple l’exportation tout en limitant les barrières à l’importation de poudre de lait, utilisée pour produire des biens finis destinés au marché continental. De son côté, le Kenya choisit une voie intermédiaire, avec sa « Dairy Industry Sustainability Roadmap 2023-2032 ». L’État joue un rôle de facilitateur en investissant dans les infrastructures de refroidissement et la certification qualité, tout en favorisant les partenariats public-privé pour doubler la production.
Dans plusieurs pays africains, l’amélioration génétique des troupeaux et l’importation de races à haut potentiel sont également des leviers stratégiques pour augmenter la production locale de lait et réduire la dépendance aux importations. Au Nigeria, Arla Foods s’est associé à VikingGenetics pour introduire dans son troupeau des semences sexées «?X-Vik?», issues de races bovines nordiques capables de produire jusqu’à 40 litres par jour, soit 18 à 25 fois plus que les races locales. L'initiative vise à maximiser le rendement laitier et à valoriser le potentiel inexploité du secteur laitier nigérian, qui couvre encore plus de 75 % de ses besoins par des importations.
Le Sénégal et le Cameroun ont réceptionné ces dernières années des lots de génisses importées dans le cadre de leur politique d’amélioration génétique. Ces différents efforts s’inscrivent toutefois dans un contexte où l’urbanisation rapide, l’évolution des habitudes alimentaires et la croissance démographique continueront à exercer une pression constante sur l’offre dans les prochaines décennies. Une telle dynamique appelle à un accroissement des investissements publics et privés non seulement dans la production de lait, mais aussi en aval dans le stockage, la transformation et la distribution des produits dérivés.
Espoir Olodo
Edité par : Feriol Bewa