Mine d’or de Loulo-Gounkoto : le litige entre le Mali et Barrick en 11 épisodes

Publié le 12/07/2025

LE PITCH

Entre accusations fiscales, engagements contestés et bras de fer juridique, le ton ne cesse de monter entre les autorités maliennes et la société canadienne Barrick Mining. Comment, en 2 ans, la success story de Loulo-Gounkoto, un actif aurifère de classe mondiale, a-t-elle viré au cauchemar ?

Lorsqu’elle a finalisé sa fusion avec Randgold en 2019, la société canadienne Barrick Mining a hérité de la mine malienne de Loulo-Gounkoto, devenue cinq ans plus tard la deuxième plus grande exploitation d’or du continent, avec plus de 800 000 onces produites en 2024. Avec des réserves prouvées et probables attribuables de 7,3 millions d’onces, la compagnie prévoyait de maintenir ce rythme de production pendant encore dix ans. Un avenir radieux qui pourrait toutefois s’écrire sans elle, si l’escalade actuelle ne trouve pas d’issue rapidement. Chronologie des faits.

Mars 2023 – Le président Assimi Goïta reçoit un rapport d’audit du secteur minier

Porté à la tête du pays par un coup d’État en 2021, Assimi Goïta a tout de suite fait du renforcement des intérêts nationaux dans le secteur minier une priorité. Le nouveau régime commande donc aux cabinets Iventus et Mazars un audit du secteur.

Officiellement présenté en mars 2023, le rapport d’audit appelle à une importante refonte de l’écosystème minier malien. Ses principales conclusions révèlent un non-respect des lois minières en vigueur, ainsi qu’un manque à gagner de 300 à 600 milliards FCFA pour l’Etat, au titre de redevances et taxes dues par les producteurs d’or actifs dans le pays.

Août 2023 – Le Mali adopte un nouveau Code minier

Dans la lignée du rapport d’audit, le gouvernement malien adopte en août 2023 un nouveau Code minier. Ce régime introduit plusieurs modifications phares, dont la possibilité pour le Mali d’obtenir jusqu’à 35 % d’intérêts dans un projet minier (dont une part de 5 % réservée aux investisseurs locaux), contre une participation maximale de 20 % prévue dans le précédent Code minier de 2019.

Ces dispositions suscitent ensuite de vifs débats entre les autorités maliennes et les compagnies minières. Si des sociétés comme Resolute Mining ou B2Gold réussissent à conclure des accords avec Bamako, la situation est bien différente pour Barrick, qui détient 80 % des parts de Loulo-Gounkoto, tandis que l’État malien en conserve 20 %. 

Mai 2024 – Le Mali et Barrick débutent les discussions sur le Code minier

Il faut attendre quelques mois après l’adoption du nouveau Code minier pour que l’existence de discussions entre Barrick et les autorités maliennes soit officiellement confirmée. 

En mai 2024, Mark Bristow, directeur général de Barrick, déclare lors d’une conférence téléphonique que le Mali a entamé des pourparlers en vue d’appliquer ce nouveau cadre réglementaire à la mine de Loulo-Gounkoto. Selon plusieurs sources concordantes, il en aurait alors profité pour contester les conclusions de l’audit minier. 

Juillet 2024 – Barrick confirme l’existence d’un différend avec l’Etat malien

Dans une note publiée le mardi 9 juillet 2024, Barrick confirme l’existence d’un différend avec les autorités sur « la question clé du partage des bénéfices économiques » de ses opérations. Poursuivant en ce sens, Mark Bristow indique que les deux parties travaillent à une résolution globale de leurs « différences et à trouver un terrain d’entente »

Septembre 2024 – Echec d’un premier accord visant à régler le litige

Le 30 septembre 2024, Barrick annonce la finalisation d’un accord visant à résoudre les « réclamations et litiges existants » avec le gouvernement. L’initiative n’est toutefois pas un succès, les autorités remettant en cause les engagements pris par la compagnie.

Dans une note publiée le 23 octobre, Amadou Keita, ministre malien des Mines, fait état du non-respect des termes d’un « accord transactionnel » par la compagnie canadienne. Des faits que cette dernière dément dans un communiqué datant du 24 octobre 2024, indiquant avoir agi de « bonne foi », en versant notamment 50 milliards de francs CFA (85 millions USD) à l’Etat malien dans le cadre des négociations entamées.

Novembre 2024 – Arrestation de quatre employés de Barrick au Mali

Le 26 novembre 2024, Barrick annonce l’inculpation et la détention de quatre employés du complexe minier de Loulo-Gounkoto.

Les raisons qui ont conduit à ces arrestations ne sont toutefois pas été évoquées. Malgré cette escalade des tensions, la compagnie réaffirme sa volonté de poursuivre les discussions avec les autorités, bien qu’aucun accord final n’ait été trouvé depuis le début des pourparlers. 

Décembre 2024 – Barrick porte le litige auprès du CIRDI

Le 16 décembre 2024, Barrick annonce avoir lancé une procédure d’arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).

Selon la note publiée à l’occasion, l’objectif de cette démarche est de « régler les questions de désaccord concernant le complexe de Loulo-Gounkoto » avec les autorités maliennes.

Janvier 2025 – Barrick suspend ses opérations à Loulo-Gounkoto

Le différend prend une nouvelle tournure début 2025, avec la suspension par Barrick des opérations minières à Loulo-Gounkoto le 14 janvier. Cette décision intervient après que les autorités ont émis des restrictions sur les exportations d’or provenant de la mine et ont saisi un stock de trois tonnes d’or sur le site.

Parallèlement à cette mesure, Barrick retire Loulo-Gounkoto de ses prévisions annuelles de production pour l’exercice 2025.

Février 2025 – Impasse autour d’un deuxième accord

La signature d’un nouvel accord est annoncée en février 2025 par des sources proches du dossier, avant d’être confirmée par Barrick. Selon les détails fournis par Reuters, le deal prévoyait le versement par Barrick d’un montant total de 438 millions USD à l’Etat malien, en échange de la libération de ses employés détenus et de la rétrocession du stock d’or saisi.  

Aucune transaction ne sera toutefois effectuée. Le 15 avril, Barrick explique en effet dans une note que le gouvernement n’a finalement pas exécuté l’accord, préférant placer la mine sous administration provisoire si la mesure de suspension persiste.

Juin 2025 – Le Mali place Loulo-Gounkoto sous administration provisoire

Le différend va devant la justice au Mali, après que le gouvernement a demandé au Tribunal de commerce de Bamako de placer Loulo-Gounkoto sous administration provisoire le 8 mai. Après plusieurs reports d’audience, le tribunal accède finalement à cette requête le lundi 16 juin, nommant l’ancien ministre malien Soumana Makadji comme administrateur provisoire.

De son côté, Barrick fait immédiatement appel auprès du CIRDI. Elle estime en effet que cette décision ne repose sur « aucun fondement, ni en droit ni en pratique, justifiant le transfert des opérations courantes de Loulo-Gounkoto à un administrateur provisoire nommé par le tribunal ».

Juillet 2025 – Vers une relance partielle sous administration malienne

Le 8 juillet, Reuters révèle que Soumana Makadji, administrateur provisoire de Loulo-Gounkoto, envisage la vente d’environ une tonne d’or entreposée sur le site afin de financer une reprise progressive de la production. Deux jours plus tard, une source administrative confirme à l’AFP que les autorités ont effectivement enclenché le processus de mise en vente d’une partie du stock saisi, évoquant des « moyens financiers pour redémarrer » l’exploitation.

Et aujourd’hui, quelles perspectives pour Loulo-Gounkoto ?

Deux ans après l’annonce des réformes minières et le début du bras de fer entre le gouvernement malien et Barrick, l’avenir de Loulo-Gounkoto demeure incertain, bien que l’État malien affiche désormais une volonté de relancer partiellement les opérations sous sa propre supervision.

Depuis la décision de justice de juin 2025, la mine est placée sous administration provisoire pour une durée de six mois, dirigée par l’ancien ministre Soumana Makadji. Ce dernier a amorcé une série d’initiatives pour réactiver l’activité, notamment la mise en vente d’environ une tonne d’or entreposée sur le site, annoncée début juillet, dans le but de financer une reprise partielle de la production. Il s’est également entouré de Samba Touré, ancien cadre de Randgold, pour accompagner cette phase délicate. Mais les contours de cette relance restent encore très flous : aucun calendrier officiel n’a été communiqué, et l’identité des sous-traitants ou les modalités concrètes de la reprise n’ont pas été précisées. Ce flou stratégique inquiète, d’autant plus que le site emploie environ 8000 personnes, dont de nombreux sous-traitants.

Barrick, de son côté, poursuit sa procédure d’arbitrage auprès du CIRDI, tout en dénonçant la confiscation de son or et l’ingérence dans ses opérations. Or, une telle procédure pourrait s’étendre sur plusieurs années, sans garantie de résolution amiable. L’enjeu est d’autant plus critique que le permis d’exploitation de Loulo, l’un des deux gisements du complexe, arrive à expiration en février 2026.

Les mois à venir seront décisifs pour savoir si Loulo-Gounkoto pourra retrouver une activité stable — et sous quelle bannière.

Aurel Sèdjro Houenou

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