Le rapport souligne que les pays africains devraient plus que jamais œuvrer à combler le déficit d’infrastructures sur le continent, encourager la transformation structurelle des économies et mettre en place des mécanismes d’identification et d'élimination des barrières non tarifaires pour développer des chaînes de valeur régionales.
Alors que la quasi-totalité des pays du continent soutiennent la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), le processus d’intégration commerciale avance encore à pas comptés, en raison notamment des craintes liées à la diminution des recettes douanières des Etats, de la persistance de barrières non tarifaires et des contradictions nées des multiples engagements commerciaux régionaux, selon un rapport publié le 23 janvier 2025 par le think tank The South Centre.
Intitulé « Assessing five years of the African Continental Free Trade Area (AfCFTA) : Proposals on potential amendments », le rapport rappelle que la plus « grande zone de libre-échange au monde », qui a été portée sur les fonts baptismaux le 21 mars 2018 à Kigali (Rwanda) lors d’une réunion extraordinaire des chefs d'État de l'Union africaine (UA), avait pour objectif de créer un marché continental commun de 1,3 milliard de consommateurs et un PIB cumulé de 3400 milliards de dollars. Ce marché intégré devrait notamment booster le commerce intra-africain de 53%, accroître la valeur ajoutée du secteur industriel de 1000 milliards de dollars, permettre à 50 millions d’Africains de sortir de la pauvreté et créer 14 millions d’emplois supplémentaires.
Malgré ces grandes ambitions, le marché continental unique tant souhaité tarde encore à se concrétiser. Dès l’adoption de l'Accord portant création de la ZLECAf, il y avait une indication claire de la différence d’engagement entre les pays membres de l’UA. Durant la réunion de Kigali, 44 des 55 États membres de l'organisation continentale ont signé l’accord portant création de la zone de libre-échange, 47 ont signé la déclaration de Kigali et 30 ont signé le protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d'établissement. Les choses ont par la suite évolué. A ce jour, 54 des 55 membres de l’UA ont signé l'accord portant création de la ZLECAf, et 48 pays l'ont ratifié.
En ce qui concerne le commerce des marchandises, le nombre de listes provisoires de concessions tarifaires adoptées pour l'accès au marché est passé de 42 à 45 en février 2024. Dans le cadre du commerce des services, 22 listes d'engagements spécifiques couvrant cinq domaines prioritaires ont été adoptées.
Le calendrier de la suppression des tarifs douaniers n'a été, quant à lui, achevé qu’en 2024, au regard de son caractère progressif. Des règles d'origine ont été par ailleurs convenues, sauf pour les véhicules, les textiles et l’habillement.
Le concept de l’avantage comparatif est inopérant en Afrique
L’initiative de commerce guidé (GTI) a été ensuite lancée le 7 octobre 2022, ce qui a permis à huit pays d’entamer leurs échanges commerciaux dans le cadre des conditions préférentielles de la ZLECAf (Cameroun, Egypte, Ghana, Kenya, Maurice, Rwanda, Tanzanie et Tunisie). La liste de produits concernés comprend, entre autres, les produits pharmaceutiques, le caoutchouc, les pâtes alimentaires, le thé, le café, l’acier et le bois. En 2023, le champ d'application de l'initiative a été élargi en vue de débloquer de nouvelles opportunités de commerce et d'investissement à la fois en termes de produits et de pays. Les échanges enregistrés dans le cadre de cette initiative visant à « tester l'environnement opérationnel, institutionnel et juridique de la mise en œuvre de l'accord de la ZLECAf » restent cependant insignifiants.
Le rapport précise dans ce cadre que l’un des principaux facteurs qui expliquent le démarrage poussif de la ZLECAf réside dans les craintes liées à la diminution des recettes douanières associée à la libéralisation du commerce.
Une hypothèse largement véhiculée par les experts suppose que ces pertes évidentes de recettes douanières seront avec le temps compensées par l'augmentation des échanges entre les États. Ces simulations s'appuient sur le concept orthodoxe de l'avantage comparatif, selon lequel chaque pays finira par se spécialiser dans la production d'un produit ou service dans lequel il détient le meilleur avantage par rapport à la concurrence, équilibrant ainsi les inégalités commerciales à long terme. Mais ce concept semble inopérant dans le contexte africain, où plusieurs autres facteurs continuent d'entraver le commerce intrarégional. Il s’agit notamment du manque d’infrastructures de transport et de la médiocrité des services logistiques, de la forte prévalence des barrières non tarifaires (BNT, politiques de protectionnisme économique pénalisant le commerce extérieur telles que les interdictions d’importation, les quotas, les licences discriminatoires et les subventions), des restrictions aux mouvements des personnes et de la diversité des règles d’origine, qui freinent déjà les échanges commerciaux au sein de plusieurs communautés économiques régionales (CER) comme le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) et de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).
Transformer la ZLECAf en moteur de transformation économique
A cela s’ajoutent la multiplicité et le chevauchement des adhésions à des blocs régionaux, les similitudes des paniers de marchandises de nombreux pays, les accords de libre-échange conclus entre plusieurs pays africains et des pays ou des blocs tiers, la forte dépendance de l’Union africaine et des secrétariats régionaux des communautés économiques régionales à l’égard de l’aide étrangère et la nature précipitée des négociations, qui se concentrent généralement sur le respect des échéances politiques plutôt que sur le traitement des questions essentielles à l’implémentation de la ZLECAf et de ses protocoles.
Le rapport conclut qu’il existe, en somme, trois grandes catégories d'obstacles à la mise en œuvre de la ZLECAf : la faiblesse des capacités de production et de la diversification économique limitée, qui restreignent l'éventail des biens intermédiaires et finaux pouvant être échangés et empêchent potentiellement un développement plus complet des chaînes de valeur régionales ; le niveau élevé des coûts commerciaux liés aux tarifs douaniers associés à la lenteur de la mise en œuvre des calendriers de la libéralisation tarifaire ; et la facture exorbitante des mesures non tarifaires qui entravent la compétitivité des entreprises et des économies en augmentant le coût du commerce intra-africain d'environ 283 %.
The South Centre recommande dans ce cadre aux pays africains de développer les projets d'infrastructure prévus dans le cadre du Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PIDA), de mettre en place un régime commercial simplifié (STR) pour rationaliser la documentation et les procédures de dédouanement des expéditions de faible valeur des petits commerçants transfrontaliers et de lancer des mécanismes efficaces pour identifier, signaler, surveiller et éliminer les barrières non tarifaires.
Le think tank intergouvernemental créé en 1995 par 55 pays en développement pour aider les pays du Sud à défendre leurs intérêts sur la scène internationale appelle également les Etats africains à s’appuyer sur les acquis des communautés économiques régionales pour harmoniser plus rapidement les règles d’origine, et à donner la priorité à la promotion de la diversification industrielle et au renforcement des capacités productives pour faire passer la ZLECAf d’un simple accord de libéralisation du commerce à un moteur de transformation à même de favoriser l’essor économique de l’Afrique.
Walid Kéfi
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