En Afrique, le secteur de la transformation de noix de cajou connait depuis 10 ans des progrès remarquables, mais les efforts effectués jusqu’ici pourraient être mis en danger par le cantonnement de certains industriels à l’exportation d’amandes non dépelliculées à faible valeur ajoutée.  C’est ce qu’a indiqué à l’Agence Ecofin Jim Fitzpatrick, expert mondial de la noix de cajou. En marge de la 18e Conférence & Exposition annuelle de l’Alliance africaine sur le cajou au Bénin, l’analyste s’est entretenu avec Ecofin sur les menaces que fait peser cette pratique sur l’industrie africaine de la transformation de l’anacarde.  

AE : Quelle est actuellement l’importance des amandes non dépelliculées dans les exportations africaines vers le reste du monde ?    

Jim Fitzpatrick : Je dois rappeler que ce type d’amandes limite le processus de traitement à la cuisson à la vapeur et à la coupe, première étape de la chaîne de transformation. Les autres phases étant notamment le dépelliculage (les noix sont placées dans un four pour subir un choc thermique puis les transformateurs procèdent mécaniquement puis manuellement au retrait des pellicules), le calibrage (selon la couleur, la forme et la taille) et enfin le conditionnement. Entre 2014 et 2024, le taux de croissance annuel composé (TCAC), du volume de noix de cajou transformé a été de près du double de celui de la production (15 % contre 7,7 %) en Afrique. C’est appréciable. Mais en 2023, le continent africain a exporté pour 42 % d’amandes vers le Vietnam sous forme d’amandes non dépelliculées qu’on appelle communément borma. L’année passée, le volume d’amandes borma exportées était d’environ 38 000 tonnes, mais les données en provenance du Vietnam indiquent que cette année, cette quantité pourrait doubler.

AE : En théorie, l’expédition d’amandes « borma » n’a rien d’illégal et est donc pratique courante sur les marchés. Comment ce commerce affecte-t-il l’industrie ?

JF : A la base, la transformation du cajou en amandes borma était une idée qui convenait aux petites unités qui pouvaient commencer par faire la partie la moins complexe de l’activité de transformer et avoir du succès. Mais cela a changé. On constate que même les grandes entreprises exportent aussi du borma. Certains envoient directement vers la Chine ou le Vietnam où cela est encore transformé ou vendu tel quel vers l’Europe et l’Asie.

Cela représente des pertes de revenus pour les pays africains en termes de valeur ajoutée. Le problème est que des usines construites n’emploieront jamais autant de personnes qu’elles le feraient si elles faisaient tout le processus. Cela revient à la durabilité du business.  Je pense que ce processus ne permet pas de construire une identité africaine pour les amandes parce qu’elles vont en tant que borma au Vietnam et une fois retransformées repartent comme des amandes vietnamiennes vers d’autres destinations. Il faut relever que les amandes borma proviennent souvent d'usines qui bénéficient de subventions et d’exemptions fiscales. Donc elles ne génèrent pas les bénéfices de la même manière qu’une usine complète le ferait. Si vous avez une usine de 10 000 tonnes, vous pourriez avoir 1 000 employés. Mais si vous êtes seulement dans les amandes borma, vous pourriez avoir seulement 100 à 200 employés. C’est une grande différence en termes de personnes embauchées, de valeur ajoutée et de recettes.

AE : Quel impact l’expédition de noix dépelliculées a-t-elle sur l’image globale de l’industrie africaine ?   

JF : Je pense que cela ne reflète pas vraiment l’investissement qui est actuellement fait dans le secteur africain de la transformation. Les personnes qui ne sont pas dans l’industrie peuvent penser que le commerce des amandes non dépelliculées est le résultat des inefficacités dans le management et les coûts dans les pays africains alors qu’en réalité, il s’agit juste d’un comportement commercial opportuniste chez quelques propriétaires d’usines. Ce stéréotype que les transformateurs africains ne peuvent pas réussir dans la transformation doit être nuancé par des expériences positives que nous observons chez plusieurs transformateurs qui produisent des amandes de qualité supérieure et qui sont aussi rentables.   

AE : Comment les gouvernements réagissent-ils pour limiter ce commerce d’amandes non dépelliculées ?     

JF : Je pense que les autorités locales prennent de plus en plus conscience de cette situation.  Au Mozambique par exemple, le gouvernement et les transformateurs se sont entendus sur une taxe de 15 % sur les amandes borma à partir de cette année. C’est pour décourager ce commerce. Le pays est particulièrement préoccupé par le fait que 56 % de ses exportations étaient constituées de borma en 2023. Le pays était un pionnier dans la transformation, mais il est plutôt devenu un fournisseur d’amandes partiellement transformées au Vietnam. En Inde, les importations d’amandes borma sont interdites. Même au Vietnam, plusieurs transformateurs sont inquiets de l’impact de ce commerce sur leurs industries.

Propos recueillis par Espoir Olodo