Les autorités tchadiennes interprètent les dernières interruptions d’Internet survenues dans le pays comme une manifestation de « mauvaise foi » ou même de « sabotage de l’action gouvernementale », surtout que les abonnés suspectent le gouvernement de restreindre l'accès à Internet pour des motifs de sécurité.

Le mardi 15 octobre, à 10h15, une coupure du réseau internet a plongé 4,18 millions d’utilisateurs tchadiens dans un blackout numérique qui a duré jusqu’au mercredi 16 octobre à 9h30. Pour trouver une solution à ces coupures récurrentes, l’Etat met la pression sur les opérateurs télécoms.

Le Premier ministre Allah-Maye Halina a demandé des actions concrètes pour améliorer la qualité des services télécoms. Il a instruit le ministre chargé des Communications, à l’effet de résoudre ces problèmes récurrents. De son côté, l’Autorité tchadienne de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) est allée plus loin. Le régulateur a demandé aux opérateurs de télécommunications de prendre des mesures nécessaires afin de compenser les désagréments subis par les consommateurs, notamment par l’octroi d’un crédit de capacité Internet.

Ces différentes sorties peuvent s’expliquer par le fait que la récente panne d’Internet n’est pas un événement isolé. Depuis le début de l'année, le Tchad a subi plusieurs interruptions d'Internet. Le 20 août, le pays a été confronté à une coupure qui a duré trois heures. D’autres perturbations, plus ou moins longues, ont également été signalées en février, mai et juin. «?Depuis un certain temps, les consommateurs sont abusés par la mauvaise qualité du réseau de communication et particulièrement les coupures intempestives de la connexion Internet, qui impactent négativement les activités socioprofessionnelles et économiques du pays?», a déclaré la primature dans un communiqué publié sur Facebook le 16 octobre.

« Mauvaise foi »

Le Premier ministre a souligné les manquements graves des opérateurs de téléphonie mobile aux obligations de leur cahier des charges. Il considère ces défaillances comme un signe de «?mauvaise foi?», voire une tentative de «?sabotage de l’action gouvernementale?» d’autant plus que «?les abonnés pensent que c’est le gouvernement qui coupe l’Internet pour des raisons sécuritaires?».

Il convient toutefois de rappeler que le Tchad est un pays enclavé, ce qui signifie qu’il n’a pas d’accès direct aux câbles sous-marins internationaux. Pour se connecter au réseau Internet mondial, il dépend des interconnexions terrestres avec ses voisins côtiers comme le Cameroun et le Soudan, qui sont reliés à ces câbles. Cependant, ces pays rencontrent eux-mêmes des problèmes qui nuisent à la qualité des services offerts par les opérateurs locaux.

Au Cameroun, le backbone national de fibre optique subit une dégradation continue, provoquant des pannes récurrentes et des perturbations régulières du réseau Internet. Cette infrastructure est également vulnérable aux actes de vandalisme, aggravant encore la situation. Au Soudan, le conflit armé qui sévit depuis avril 2023 a lourdement endommagé les infrastructures télécoms, compromettant la qualité et la disponibilité des services. Entre février et mai 2024, les opérateurs étaient même dans l’incapacité de fournir le moindre service.

Trouver les bonnes solutions

Les opérateurs de téléphonie mobile tchadiens sont appelés à trouver des solutions idoines pour respecter leur obligation de garantir aux consommateurs «?un service Internet ininterrompu, 24 heures sur 24?». Il s’agit notamment de «?la mise en place de solutions de secours?».

Pour garantir le service Internet, le gouvernement et les opérateurs télécoms tchadiens peuvent diversifier les liaisons terrestres du pays avec ses pays voisins dotés de câbles sous-marins. L’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA) recommande également le recours à des solutions satellitaires qui peuvent maintenir le service en cas d’indisponibilité des réseaux terrestres.

Le Zimbabwe, pays enclavé tout comme le Tchad, a annoncé en mars 2024 qu’il envisageait des partenariats avec plusieurs fournisseurs d’accès à Internet par satellite pour limiter sa dépendance vis-à-vis de ses voisins. En septembre 2024, la société américaine Starlink du milliardaire Elon Musk a lancé ses activités commerciales dans le pays.

Au Tchad, Starlink prévoit de lancer ses activités commerciales avant la fin de l’année, sous réserve de l’obtention des autorisations réglementaires requises. Toutefois, le service est bien connu des Tchadiens. En septembre 2023, l’ARCEP a dû lancer un avertissement contre la commercialisation et l’exploitation des équipements de Starlink sur le territoire. La loi en vigueur prévoit «?un emprisonnement d’un à cinq ans et une amende allant de 100?000?000 [164?600 USD] à 200?000?000 de francs [CFA] ou de l’une des deux peines?» pour ce type d’infractions.

Un frein à la transformation numérique

Les problèmes de disponibilité de services Internet que connaît le Tchad peuvent ralentir les plans de transformation numérique du pays. En septembre 2024, la Banque mondiale a approuvé un prêt de 92,2 millions $ de l’Association internationale de développement (IDA) pour soutenir la mise en œuvre du projet national de transformation numérique. Le projet se concentre sur l’amélioration de l’accès de la population tchadienne à l’Internet à haut débit, ainsi que le développement et l’adoption de services publics numériques.

Pour rappel, le Tchad affiche un taux de pénétration de l’Internet de 12,2 %, contre 38,9 % pour la téléphonie mobile selon le rapport «?The ICT Development Index 2024?» de l’Union internationale des télécommunications (UIT). Le même rapport classe le pays 47e sur 47 en Afrique en matière de niveau de développement des TIC avec un score de 21,3 sur 100.

Par ailleurs, le Département des affaires économiques et sociales des Nations unies classe le Tchad au 189e rang mondial sur 193 pays, en ce qui concerne le développement de l’e-gouvernement avec un score de 0,1785 sur 1. Selon l’institution, ce classement «?reflète des lacunes importantes en matière d’infrastructure numérique, de services en ligne et de développement du capital humain, qui nécessitent une attention urgente?».

Isaac K. Kassouwi

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