
L’accord à l’amiable conclu entre le Ghana et Afreximbank autour d’un prêt de 750 millions de dollars met fin à un dossier sensible né de la restructuration de la dette ghanéenne. S’il clarifie la relation entre les deux parties, il ouvre aussi une phase d’observation pour la banque panafricaine, dont la situation continue d’être évaluée par les agences de notation occidentales, dans un contexte où les marchés asiatiques lui témoignent par ailleurs un intérêt soutenu.
La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) a annoncé, en fin de semaine dernière, avoir mis un terme à un différend sensible avec le Ghana autour d’un prêt de 750 millions de dollars. Si l’institution panafricaine basée au Caire évoque une résolution « à la satisfaction des deux parties », elle reste silencieuse sur les ajustements financiers éventuellement consentis. Une discrétion qui nourrit désormais un autre débat : celui de l’impact de cet accord sur la perception des agences de notation occidentales.
Le litige est né dans le sillage du défaut de paiement du Ghana en 2022 et de son programme d’assistance avec le Fonds monétaire international (FMI). Dans le cadre de sa restructuration de dette, Accra avait tenté d’inclure la créance d’Afreximbank. Une option rejetée par la banque qui revendique un statut de créancier privilégié, à l’instar d’autres institutions multilatérales. Ce statut permet aux banques de développement d’être théoriquement protégées contre les décotes lors des restructurations de dette souveraine, au nom de leur rôle contracyclique et de leur mission de financement du développement, même en période de crise. En pratique, cette protection repose toutefois davantage sur une reconnaissance informelle par les États et les marchés que sur un cadre juridique strict, ce qui en fait un point de tension récurrent lors des restructurations de dette.
Un dossier devenu un marqueur de risque pour les agences
Cette position a été perçue différemment selon les acteurs. Pour certains, accepter une décote aurait fragilisé le modèle économique d’Afreximbank et créé un précédent dangereux dans un contexte de multiplication des restructurations souveraines en Afrique (Zambie, Zimbabwe). Pour les agences de notation occidentales, en revanche, le bras de fer a mis en lumière une forte exposition aux risques souverains.
En juin, Fitch Ratings a ainsi abaissé d’un cran la note de la dette à long terme d’Afreximbank, à BBB-, citant notamment les incertitudes entourant certaines créances contestées, dont celles liées au Ghana et à la Zambie. Moody’s a suivi, renchérissant mécaniquement le coût de financement de la banque sur les marchés internationaux. Ces évaluations ont été vivement contestées par la banque.
Dans cette optique, l’accord conclu avec Accra constitue désormais un test clé : les agences chercheront à savoir si Afreximbank a réussi à préserver l’intégrité de son bilan, ou si la résolution du dossier s’est accompagnée de concessions financières implicites. Selon Bloomberg qui cite « des personnes ayant une connaissance directe du dossier », Afreximbank aurait accepté d’enregistrer des pertes sur le prêt concerné, un élément susceptible de conforter les agences de notation occidentales dans leur évaluation du risque porté par la banque.
Les marchés asiatiques en contrepoint
Fait notable, ces interrogations occidentales contrastent avec la perception observée en Asie. Dans la foulée des tensions sur le dossier ghanéen, Afreximbank a en effet réussi plusieurs levées de fonds majeures sur les marchés asiatiques.
En Chine, la banque a émis sa première obligation « panda », en levant 2,2 milliards de renminbis (environ 303 millions de dollars US) sur le marché obligataire interbancaire. Au Japon, elle a finalisé une deuxième émission d’obligations « samouraï », pour un montant de plus de 80 milliards de yens (environ 527 millions $), avec un carnet d’ordres qui a attiré un large éventail d’investisseurs institutionnels.
Ces opérations ont été accompagnées de notations favorables de la part d’agences asiatiques telles que China Chengxin International Credit Rating et la Japan Credit Rating Agency, qui mettent davantage l’accent sur la solidité institutionnelle d’Afreximbank, la diversification de ses financements et son rôle stratégique dans le commerce africain.
Cette confiance affichée par les investisseurs asiatiques ne suffit toutefois pas à refermer le dossier. Afreximbank devra aussi continuer à se financer sur les marchés occidentaux, qui restent centraux dans son architecture financière. D’autant que la banque, désormais dirigée par George Elombi, entend accélérer le rythme de ses interventions dans les années à venir. Les actionnaires ont ainsi validé une trajectoire ambitieuse, avec un objectif de bilan porté à près de 250 milliards de dollars à l’horizon d’une décennie. Une montée en puissance qui suppose de multiplier les levées de fonds et rend, de fait, la perception des agences de notation occidentales difficile à contourner.
Une asymétrie de perception qui souligne un clivage plus profond que les acteurs africains reprochent au Big 3 (S&P, Moody’s, Fitch). Les agences occidentales privilégient une approche strictement prudentielle, centrée sur le risque de crédit souverain et la capacité à absorber d’éventuelles pertes, alors que les agences et investisseurs asiatiques semblent, eux, intégrer davantage la dimension stratégique et contracyclique d’une banque multilatérale africaine, soutenue par ses États actionnaires.
Fiacre E. Kakpo
