Pourquoi Fitch et S&P jugent surestimée l’exposition des banques ivoiriennes à la dette sénégalaise

Publié le 17/12/2025

Les tensions budgétaires au Sénégal ont ravivé les interrogations sur les risques de contagion bancaire au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Si les volumes d’exposition ont fortement augmenté en 2025, Fitch Ratings comme S&P Global Ratings estiment que le risque reste, à ce stade, maîtrisable, grâce aux mécanismes d’intermédiation et aux amortisseurs régionaux.

La dégradation des finances publiques du Sénégal n'inquiète pas seulement les marchés. Elle a aussi ravivé une question sensible au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) : jusqu’où le stress sénégalais peut-il se propager au système bancaire régional ? Sur ce point, les agences de notation internationales s’accordent sur l’essentiel. Le risque existe, mais il reste, pour l’heure, contenu.

Dans une analyse publiée récemment, Fitch Ratings reconnaît que la situation du Sénégal « pose un certain risque pour les réserves de change de l’UEMOA et pour la contagion des marchés, y compris via les banques ». L’agence relève toutefois que le marché régional de la dette continue de fonctionner sans à-coups majeurs. Les adjudications restent régulières, la demande présente. En 2025, le Sénégal a ainsi levé plus de 2 000 milliards de francs CFA (soit 3,5 milliards USD) sur le marché des adjudications et plus de 1 600 milliards de francs CFA par émissions syndiquées, cotées ou en cours de cotation à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM).

Cette augmentation du rythme d’émission du Sénégal sur le marché régional a mécaniquement accru l’exposition de certains acteurs bancaires, en particulier en Côte d’Ivoire, première place financière de l’Union. Selon S&P Global Ratings, les investisseurs ivoiriens détiennent désormais environ 42 % de la dette sénégalaise émise sur le marché UEMOA, soit près de 1 800 milliards de francs CFA, l’équivalent de 3,1 % du PIB ivoirien et d’environ 7 % des actifs du système bancaire.

Des chiffres impressionnants, mais trompeurs en partie. Car, sur ce point précis, S&P et Fitch tiennent un discours très proche. Les deux agences estiment que ces données surestiment l’exposition réelle des banques ivoiriennes. La raison tient au fonctionnement même du marché régional. Les investisseurs non-résidents — fonds internationaux, institutions financières ou bailleurs multilatéraux — ne peuvent pas acheter directement des titres publics dans l’UEMOA. Ils doivent passer par des banques locales agréées ou les SGI qui agissent comme intermédiaires.

Résultat : dans les statistiques, les banques ivoiriennes apparaissent comme détentrices des titres, alors qu’elles les ont acquis pour le compte de tiers. Le risque de défaut est supporté par l’investisseur final, les titres étant conservés en comptes de conservation ou hors bilan local. 

Ce mécanisme limite, selon Fitch, le risque de transmission directe vers les bilans bancaires ivoiriens. Il est renforcé par le rôle de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui continue de fournir de la liquidité au système bancaire en acceptant les titres souverains comme collatéral, et par la nette amélioration des réserves de change régionales, désormais équivalentes à six mois d’importations, contre 3,8 mois un an plus tôt.

Les agences de notation ne sous-estiment pas pour autant les fragilités à l’œuvre. Au Sénégal, la détérioration progressive de la qualité des actifs bancaires est déjà visible : le ratio de créances douteuses a atteint 10,6 % à fin août 2025, un niveau en hausse par rapport à l’année précédente et supérieur à la moyenne observée dans l’UEMOA. Cette évolution s’explique en grande partie par les tensions de trésorerie persistantes de certaines entreprises publiques, dont la dépendance aux subventions budgétaires et les retards de paiement fragilisent les bilans bancaires.

Dans un espace financier aussi intégré que celui de l’UEMOA, ces tensions ne restent pas cantonnées aux frontières nationales. Fitch souligne que le haut degré d’interconnexion du système bancaire régional constitue un canal de diffusion potentiel du stress. Les difficultés rencontrées par les banques sénégalaises, confrontées à un accès au financement plus contraint et à une qualité d’actifs dégradée, peuvent ainsi se répercuter sur l’ensemble de la zone, à travers les liens de crédit, l’exposition aux emprunteurs corporate et les mécanismes d’intermédiation régionale. L’agence estime toutefois que, grâce aux amortisseurs institutionnels existants, l’impact direct sur les bilans des banques régionales demeure, à ce stade, maîtrisable.

Fiacre E. Kakpo