Dette cachée au Sénégal : une crise de gouvernance, mais pas une fuite de capitaux

Publié le 17/12/2025

Si la révélation d'une dette cachée d'une ampleur inédite a logiquement inquiété les marchés et le FMI, une analyse détaillée des fondamentaux montre que le Sénégal ne se dirige pas vers un défaut de paiement. Le pays traverse une crise de gouvernance aiguë, mais dispose d'actifs réels et de leviers financiers solides pour transformer cette impasse comptable en un rebond économique.

C'est une douche froide qui a saisi les observateurs économiques à Dakar et à Washington ces derniers mois. La révélation par le FMI d'une dette publique réelle pouvant atteindre 132 % du PIB, dopée par une dette cachée estimée à 16 % du PIB, a fait craindre le pire. Le chef de mission du Fonds évoquait même n'avoir « jamais vu une dette cachée de cette ampleur » en Afrique. Pourtant, à y regarder de plus près, la panique n'a pas lieu d'être. Si les chiffres sont vertigineux, la structure même de cette dette et la nature des créanciers racontent une histoire bien plus nuancée : celle d'un pays qui a investi à marche forcée, au prix d'une opacité coupable, mais qui n'est pas en faillite structurelle.

Des milliards invisibles... pour des infrastructures bien réelles

Contrairement à d'autres scandales financiers africains récents, où la dette cachée finançait des équipements militaires fantômes ou des montages offshore douteux, le cas sénégalais semble relever d'une frénésie d'investissement mal comptabilisée. L'analyse des données du Finance for Development Lab (FinDevLab) est formelle : sauf pour l'année 2023, la majorité de cette dette cachée ne correspond pas à des « projets secrets », mais à des décaissements non déclarés liés à des projets d'infrastructures connus et validés.

Nous sommes face à une crise majeure de transparence budgétaire, à une faillite des mécanismes de contrôle, mais pas à une évaporation des capitaux.

En clair, l'argent a été dépensé, mais les actifs sont là. Routes, projets énergétiques, infrastructures de développement : cette dette a une contrepartie physique potentiellement génératrice de croissance future. Nous sommes face à une crise majeure de transparence budgétaire, à une faillite des mécanismes de contrôle, mais pas à une évaporation des capitaux. C'est une distinction fondamentale pour les investisseurs : le bilan de l'État sénégalais s'est alourdi au passif, mais son actif s'est également enrichi.

Mai 2026 : le « mur de la dette » est une porte étroite, mais franchissable

L'autre grande inquiétude concerne le calendrier. Les analystes pointent un doublement du service de la dette en 2026, passant de 1,1 milliard de dollars en 2025 à plus de 2,2 milliards de dollars. Dit ainsi, le choc semble insurmontable. Pourtant, les données brutes de la Banque mondiale (DSSI) révèlent que ce risque est extrêmement concentré.

Il ne s'agit pas d'une asphyxie généralisée tout au long de l'année, mais d'un pic unique et précis : une échéance massive d'environ 1,1 milliard de dollars en mai 2026.

Il ne s'agit pas d'une asphyxie généralisée tout au long de l'année, mais d'un pic unique et précis : une échéance massive d'environ 1,1 milliard de dollars en mai 2026, principalement liée aux eurobonds. En finance, un risque identifié, daté et chiffré est gérable. Cette concentration permet aux autorités sénégalaises de ne pas s'épuiser dans une restructuration globale et douloureuse de l'ensemble de leur dette. L'objectif est désormais clair : préparer une opération d'ingénierie financière ciblée (rachat anticipé ou Liability Management Exercise) afin de lisser cette échéance spécifique. Le « mur » de mai 2026 peut être contourné si les négociations démarrent tôt.

La maturité insoupçonnée du marché régional

Enfin, la crainte d'une contagion régionale, notamment dans le secteur bancaire ivoirien, a été largement exagérée. Une note récente de l'agence de notation S&P Global Ratings vient tordre le cou aux rumeurs alarmistes. Si les banques ivoiriennes détiennent effectivement une part importante de la dette sénégalaise, elles agissent souvent comme de simples intermédiaires (« gateway ») pour des investisseurs internationaux.

Cette réalité témoigne d’une maturité insoupçonnée du marché de l'UEMOA. Loin d'être un vase clos et fragile, la place financière régionale est capable d'intermédier des flux mondiaux et de jouer un rôle d'amortisseur sophistiqué. Le système bancaire dispose de fonds propres suffisants pour absorber les turbulences, et les mécanismes de solidarité de la BCEAO demeurent un rempart crédible contre le risque systémique.

L'heure de la responsabilité politique

Le Sénégal n'est donc pas acculé. Il bénéficie en outre d'une base de créanciers diversifiée, où le soutien indéfectible des grands bailleurs multilatéraux (FMI, Banque mondiale) côtoie des partenaires bilatéraux variés (France, Chine, Koweït). Le pays n'est pas isolé diplomatiquement.

Le diagnostic est clair : le patient sénégalais souffre d'une crise de croissance mal maîtrisée et d'une gouvernance budgétaire qui a échoué. Mais ses organes vitaux — ses infrastructures, sa place dans la finance régionale et la confiance de ses partenaires à long terme — sont intacts. La balle est désormais dans le camp des décideurs politiques : s'ils parviennent à restaurer la transparence et à engager les réformes techniques nécessaires, la « faillite » annoncée restera une prophétie non avenue.

Idriss Linge