Sénégal : la taxe sur le Mobile Money, un choix audacieux aux retombées incertaines

Publié le 03/12/2025

En imposant une taxe sur les transactions financières électroniques, le gouvernement de Bassirou Diomaye Diakhar Faye cherche de nouvelles ressources pour financer ses priorités sociales. Mais cette décision courageuse fait peser une menace directe sur un secteur qui a révolutionné l’accès aux services financiers et dynamisé l’économie informelle.

Depuis le mois d’octobre 2025, les Sénégalais paient une taxe sur les services financiers numériques. Cette mesure découle de la loi n° 2025-17 du 27 septembre 2025, modifiant la loi n° 2012-31 du 31 décembre 2012 portant Code général des Impôts. Signée par le président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, la réforme agit sur deux volets.

Le premier porte sur le prélèvement à la source de 0,5 % du montant de chaque paiement reçu par les commerçants via des solutions électroniques. Ce prélèvement est effectué par les opérateurs de téléphonie mobile pour le compte de l’État. Le second, concerne les opérations de transfert d’argent, quels que soient le canal ou le support utilisés (transferts par voie électronique, services de téléphonie mobile, moyens télégraphiques, télex ou télécopie, transfert postal, paiements par cartes bancaires). Le taux est également fixé à 0,5 % par transaction, mais avec un plafond de 2000 F CFA. Ainsi, au-delà d’un certain montant, la taxe due ne progresse plus. 

Le gouvernement a toutefois prévu une série d’exonérations, notamment pour les versements d’espèces sur un compte ; les retraits d’espèces inférieurs ou égaux à 20 000 F CFA sur une période de 24 heures ; les virements bancaires classiques ; les transferts de fonds au sein du réseau d’un même prestataire de services de paiement ; les virements et transferts effectués par l’État et les collectivités territoriales ; les transferts destinés au paiement de salaires ou de bourses d’études, quel que soit l’émetteur ou le bénéficiaire.

Tirer profit d’un secteur fort dynamique

Engagé dans une phase de forte tension budgétaire et confronté à une dette publique estimée à environ 118 % du PIB à la fin de 2024, l'exécutif sénégalais a justifié cette nouvelle charge fiscale par sa volonté de s’appuyer davantage sur les capacités contributives de l’économie nationale et réduire la dépendance à l’endettement extérieur et aux financements.

En combinant le prélèvement sur les paiements reçus par les marchands et la transactions financières électroniques, l’État espère capter 230 milliards de FCFA sur trois ans. Une contribution qui sera considérée comme indispensable au financement du Plan de redressement économique et social (2025-2028) inscrit dans la mise en œuvre de l’Agenda national de Transformation « Sénégal 2050 » et chiffré à 5 667 milliards de FCFA (environ 10 milliards de dollars). Toutefois, la nouvelle taxation fait peser un risque de ralentissement sur l’un des principaux moteurs de l’inclusion financière, de l’entrepreneuriat informel et de la fluidité des échanges économiques quotidiens dans le pays.

En 2024, le taux de pénétration démographique des services de monnaie électronique a atteint 197,83 %, contre 28,83 % en 2014. Dans le même temps, celui des services bancaires traditionnels restait très faible, à 1,20 % seulement (contre 0,96 % dix ans plus tôt), selon les données de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). La microfinance est également restée marginale, son taux de pénétration passant même de 1,40 % à 1,09 %.

De son côté, l’Association mondiale des opérateurs télécoms (GSMA) souligne qu’entre 2013 et 2023, le nombre de comptes Mobile Money enregistrés au Sénégal a plus que quintuplé, passant de 7 à 38 millions. Sur la même période, la valeur des transactions a été multipliée par 3,3, atteignant 230 millions de dollars contre 70 millions en 2019. La GSMA estime par ailleurs qu’à fin 2023, le produit intérieur brut (PIB) total du Sénégal dépassait de 6 milliards dollars ce qu’il aurait été sans le Mobile Money, ce qui représente une hausse de 26 % par rapport à l’année précédente. Sur dix ans, le PIB par habitant attribuable à cette activité a été multiplié par quinze, passant d’environ 20 à 300 dollars.

Pour les acteurs de l’écosystème de la finance numérique, le choix du gouvernement sénégalais représente un risque important, au regard du dynamisme du secteur et des leçons tirées de l’expérience d’autres pays. 

Une taxe à double tranchant

En Tanzanie, où les services de mobile money ont permis l’inclusion financière d’environ 16 millions de personnes entre 2015 et 2021, l’introduction d’une taxe le 15 juillet 2021 sur les transferts et retraits d’argent mobile (à l’exception des paiements aux commerçants, aux entreprises et au gouvernement) a eu un impact immédiat. Elle a provoqué des baisses respectives de 17 % du volume et de 28 % de la valeur des transactions entre le 15 juillet et le 30 août 2021. Ce recul a contraint les autorités à réduire à trois reprises le taux d’imposition : en septembre 2021, puis en juillet et septembre 2022.

Au Ghana, le nombre d’utilisateurs actifs de mobile money avait augmenté de 16 % entre 2016 et 2019. Cependant, l’introduction en mai 2022 d’une taxe de 1,5 % (e-levy) sur les transferts, paiements et retraits effectués via les comptes d’argent mobile a entraîné une baisse sensible du volume et de la valeur des transactions, de nombreux utilisateurs étant revenus aux transactions en espèces. Cette mesure n’a par ailleurs généré qu’une hausse très marginale des recettes fiscales. Alors que le gouvernement prévoyait de collecter 7 milliards de cédis (582 millions de dollars) entre mai et juillet, le montant réel n’a finalement pas dépassé 611 millions de cédis, soit moins de 10 % de l’objectif.

Craignant des conséquences similaires qui nuiraient aux succès enregistrés au cours de la dernière décennie – le Sénégal étant perçu comme un hub de la finance numérique en Afrique francophone subsaharienne –, l’Organisation des professionnels des TIC du Sénégal (OPTIC) a averti que cette taxation entraînerait un renchérissement du coût de la vie, une perte de pouvoir d’achat, et pourrait favoriser l’exclusion des acteurs du secteur informel en les incitant à revenir aux paiements en espèces.

Par ailleurs, cette taxe entre en contradiction avec les efforts d’inclusion financière régionale initiés par la BCEAO, qui a lancé en septembre dernier une plateforme interopérable de paiement instantané (PI-SPI). Ce système permet des transferts d’argent rapides et sécurisés, 24h/24 et 7j/7, entre les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Si chaque opération devient plus coûteuse, l’adoption de ces nouveaux outils risque d’être freinée, à un moment où les intégrations commerciales et financières régionales sont pourtant vantées comme des catalyseurs essentiels du développement économique.

La prudence s’impose donc pour éviter un recul involontaire dans la dynamique numérique du pays.