L'Afrique peut tirer parti des grandes mutations géopolitiques dans le monde pour se développer

Publié le 02/12/2025

Les évolutions géopolitiques dans le monde offrent à l'Afrique l’opportunité de stimuler son développement, en faisant jouer la concurrence entre puissances rivales pour négocier des transferts de technologies, valoriser localement les matières premières, diversifier les économies et renforcer l'intégration régionale.

Les recompositions géopolitiques mondiales ouvrent une fenêtre d'opportunités pour l’Afrique, si celle-ci parvient à transformer la concurrence entre les puissances traditionnelles et émergentes autour de ses richesses en un levier de transformation structurelle de ses économies. C'est ce qu'estime le think tank marocain Policy Center for the New South dans un rapport publié fin octobre. Intitulé « Perspectives africaines dans le panorama géopolitique mondial », le document rappelle que le leadership mondial des États-Unis est de plus en plus contesté, même s’ils restent la première puissance militaire, économique et financière.

De nombreux facteurs ont substantiellement entamé la crédibilité du « gendarme du monde », dont la crise financière de 2008, les retraits chaotiques de son armée de l’Afghanistan et de l’Irak, et la montée en puissance de la Chine. L'unipolarité des années 2000 a ainsi cédé la place à un monde où plusieurs pôles – Chine, Russie, Inde, Union européenne – défendent des visions qui s'écartent parfois de l'ordre mondial longtemps établi et conduit par les États-Unis. Avec Pékin, le pays de l'Oncle Sam se trouve aussi dans une rivalité structurelle qualifiée en relations internationales de « piège de Thucydide », une stratégie par laquelle une puissance dominante entre en guerre avec une puissance émergente dont elle craint l'essor.

Cette rivalité a plusieurs facettes. Elle est économique (guerre commerciale, contrôle des chaînes de valeur, course aux semi-conducteurs, etc.), militaire (militarisation de la mer de Chine méridionale, alliances comme le partenariat stratégique pour la sécurité Indo-Pacifique), et idéologique (démocratie libérale vs capitalisme d'État autoritaire). Le conflit ouvert est jusqu’à présent évité, mais un tel risque reste sujet à une simple erreur d’appréciation.

De plus, des blocs alternatifs se construisent. C'est le cas de l’élargissement du groupe des BRICS aux Émirats arabes unis, à l'Égypte, à l'Éthiopie, à l'Iran et à l'Arabie saoudite. Cet élargissement baptisé BRICS+ crée un club hétéroclite, mais puissant, qui représente plus de 45 % de la population mondiale et plus de 36 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat. Son objectif affiché est de déconstruire l'hégémonie économique et financière occidentale, notamment américaine, en promouvant des institutions parallèles comme la New Development Bank et l'usage des monnaies locales.

Une polarisation du monde

Le conflit russo-ukrainien a eu un effet détonateur sur l'économie mondiale, révélant l’ampleur de la dépendance énergétique de l'Europe, ainsi que la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement alimentaires mondiales, dont l'Afrique est une des premières victimes collatérales. À part le conflit israélo-palestinien, la région du Moyen-Orient connaît quant à elle une certaine normalisation entre Israël et certains États arabes (Accords d'Abraham), une course iranienne au nucléaire et des guerres par proxy. Ces conflits ont des répercussions directes sur la sécurité et la stabilité énergétique du monde.

Le rapport souligne que ces bouleversements géopolitiques ont créé une crise protéiforme en Afrique, qui va des problèmes de sécurité alimentaire enregistrés au plus fort du conflit russo-ukrainien, à la flambée des prix des produits énergétiques, en passant par la perte de précieuses recettes économiques (baisse des recettes du canal de Suez pour l’Égypte, difficultés d’accès aux marchés financiers, etc.) et le risque de de montée en puissance de groupes jihadistes, comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et les Shebabs somaliens. 

Au bout du compte, la tendance de fragmentation du monde en sphères d'influence et de résurgence de blocs économiques et sécuritaires laisse entrevoir un horizon marqué par la polarisation et la « Diplomatie du Camp » (Avec nous ou contre nous). Les pays qui subsistent dans le « no-man’s land » entre les puissances traditionnelles et celles émergentes sont souvent pressés de choisir leur camp, une position que certains rejettent au nom de la souveraineté nationale, du non-alignement ou du multi-alignement. Nombre d’entre eux souhaitent avoir de bons rapports avec tout le monde et ne veulent faire office de satellite pour aucune puissance ou groupe de puissances.

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Dans cette configuration mouvante des relations internationales, l’examen des relations de l’Afrique avec les puissances émergentes d’un et l’Occident de l’autre, montre deux situations qui évoluent avec des courbes opposées. Le partenariat avec les puissances émergentes est encore à l’épreuve des faits. En dehors de la Chine et de la Russie, les autres membres de cette catégorie doivent agir plus énergiquement pour séduire le continent. Par ailleurs, le revers de la médaille de la coopération chinoise montre une opacité des prêts qui a contribué à alourdir la dette de nombreux pays (Angola, Zambie, Kenya, etc.). En outre, le modèle « infrastructures contre matières premières » reproduit aussi un modèle primaire et offre peu de transferts de technologie ou de création d'emplois durables.

Parallèlement, dehors de ses interventions militaires via des groupes à statut contesté, la Russie en  fait relativement peu pour stimuler le développement des pays africains.

Éviter une simple substitution des dépendances

Face à l'offensive chinoise, l'Occident tente de se repositionner avec de nouvelles initiatives comme le « Global Gateway » de l'Union européenne (300 milliards d'euros) ou le « Build Back Better World » (B3W) du G7, promettant des investissements « durables, transparents et guidés par les valeurs ». Ce modèle traditionnel de partenariat traditionnel est pourtant en crise profonde. Le sentiment anti-français au Sahel, culminant avec les expulsions des troupes françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger, est symptomatique d'un rejet post-colonial d'une présence perçue comme paternaliste et inefficace. Cependant, contrairement à des apparences alimentées par les médias, les pays africains ne cherchent pas pour autant à rompre avec l’Occident.

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Le 7e Sommet UE-UA tenu les 24 et 25 novembre 2025 à Luanda, en Angola

Ils veulent plutôt revisiter la relation, et avoir un partenariat nouveau où les anciennes perceptions négatives laissent la place à un respect mutuel et à la sauvegarde réelle des intérêts de toutes les parties. Le rapport avertit dans ce cadre que le vrai défi pour le continent et ses États et organisations est désormais d'éviter le piège d'une simple substitution des dépendances. L’objectif ne doit pas être de passer de l'Occident aux BRICS+, de l’Europe à la Russie ou des États-Unis à la Chine, avec une instrumentalisation dans une nouvelle guerre froide.

L’enjeu est d’adopter une position d’acteur ayant lui aussi ses cibles, ses objectifs et ses desseins à réaliser, et de trouver dans le panorama géopolitique mondial des opportunités pour stimuler son développement et devenir maître de son destin. Cette prise de conscience commence à se matérialiser sur la scène internationale. L’admission de l’Union africaine (UA) comme membre permanent du G20 en 2023, et l’ambition du continent de disposer d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, témoignent de son éveil et de sa recherche d’un renouveau digne de son potentiel. Mais beaucoup reste à faire dans la sphère économique, et la priorité doit désormais être de transformer la concurrence entre les autres autour des richesses africaines en levier pour une véritable transformation structurelle.

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Mahamoud Ali Youssouf, président de la Commission de l'UA, avec le président sud-africain Cyril Ramaphosa, au sommet du G20 en 2025

Dans cette optique, les États et organisations africaines doivent profiter des luttes d’influence à l’échelle planétaire et capitaliser sur une compétition de plus en plus acharnée entre les puissances pour négocier des transferts de technologies, valoriser localement les matières premières, diversifier les économies, et renforcer l'intégration régionale en stimulant la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

Walid Kéfi

Edité par : Feriol Bewa

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