
En 2024, les autorités du Bénin ont annoncé l’interdiction prochaine des importations de poulets congelés et d’œufs de table, affirmant leur volonté de relancer et de structurer durablement la production locale. Cette décision s’inscrit dans une stratégie plus large de diversification agricole et de développement de filières porteuses, au-delà du coton.
En marge du Choiseul Africa Business Forum, Sarah Agbantou, chargée d’études au ministère de l’Économie et des Finances, a présenté le projet « 1000 Jeunes en Aviculture », conçu pour accompagner l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs agricoles et renforcer la souveraineté alimentaire du pays.
Agence Ecofin : Sarah Agbantou, vous êtes chargée d'études du ministre d'État de l'Économie et des Finances au Bénin. Ce pays mise depuis plusieurs années sur le développement de filières porteuses pour structurer son économie et créer des emplois durables. Que recouvre concrètement cette notion dans la stratégie nationale ?
Sarah Agbantou : Effectivement, depuis un certain nombre d'années vous avez pu voir qu'il y a une vraie volonté de développer au Bénin, surtout au niveau de l'agriculture et des filières porteuses. Il y a un travail de fond qui est fait filière par filière. Dans le cadre de l'aviculture, c'est une volonté de structuration et de professionnalisation, avec l'ambition d'augmenter la production locale destinée au marché intérieur, mais aussi aux pays voisins au niveau régional.
AE : C'est dans cet esprit-là que vous avez lancé le programme 1000 Jeunes en Aviculture. Pourquoi avoir choisi précisément cette filière pour incarner cette politique d'emploi des jeunes ?
SA : Dans le cadre de la professionnalisation de la filière avicole, on fait le pari aujourd'hui de développer en parallèle, en amont. Cela implique donc la création d’emplois durables et décents. L'idée, c'est d'intégrer dès le départ dans la structuration un modèle de formation et d'insertion professionnelle, et de pouvoir, si possible, aller jusqu'au statut d'entrepreneur avicole pour ces jeunes-là.
Sachant qu'effectivement, on a plus de 80 % de la population au Bénin qui a moins de 25 ans, le poids démographique va s'intensifier. Donc aujourd'hui, la politique de création d'emplois durables, qui ne sont pas des sous-emplois, est devenue un impératif lorsqu'on est en train de structurer les filières en parallèle.
AE : Quels sont les objectifs initiaux du programme et les résultats que vous attendez à moyen terme ?
SA : Le programme 1000 Jeunes en Aviculture consiste en réalité à permettre à des jeunes basés sur tout le territoire national et âgés de 18 à 30 ans de pouvoir répondre à un appel à candidatures où ils manifestent un intérêt à devenir entrepreneurs avicoles, et qui vont donc être dotés d'équipements et d'intrants de démarrage sur un site d'élevage construit sur du foncier public. Donc, ils obtiennent sites, intrants, équipements, ainsi qu'une formation théorique sur l'élevage dans ce cadre-là, de poulets de chair, mais également une formation pratique en immersion dans des PME avicoles ou des centres d'excellence.
Ils obtiendront sites, intrants, équipements, et une formation théorique sur l'élevage de poulets de chair, mais aussi une formation pratique en immersion dans des PME avicoles ou des centres d'excellence.
À l'issue de tout cela, ils seront installés avec un accompagnement pendant un an, avec des agrégateurs et des vétérinaires, des techniciens avicoles. L'idée, c'est qu'ils puissent vraiment devenir des entrepreneurs avicoles pouvant produire au minimum 1000 poulets de chair tous les 45 jours, et ayant aussi la capacité de générer des revenus en trouvant un marché d'écoulement. Donc, on accompagne également sur l'écoulement de cette production, avec des contrats qui seront signés avec des structures ayant des besoins quotidiens, et également avec des agrégateurs qui rachèteraient la production.
AE : Quel rôle joue le ministère des Finances dans la mise en œuvre et le suivi de ce programme, notamment sur le plan du financement et de la viabilité économique ?
SA : Au niveau du ministère de l'Économie et des Finances, on a travaillé en étroite collaboration avec le ministère de l'Agriculture, de l'Élevage et de la Pêche, avec également les différentes associations d'aviculteurs, l'IAB et l'UNAP notamment. On a également travaillé avec l'ANPE, l'Agence nationale de promotion de l'emploi, et l'ADPME, l'Agence des petites et moyennes entreprises. Avec toutes ces parties prenantes-là, l'idée était de voir en interne comment est-ce qu'on peut structurer ce projet dans sa phase de conception.
Aujourd'hui, le projet est donc porté par l'ADPME et par l'ANPE, avec un financement de la Banque mondiale pour la majorité des plans et un financement de l'Agence Française de Développement (AFD) sur la phase pilote. Donc, c'est vraiment un projet multipartite qui implique le privé, les associations et le public. Notre rôle au niveau du ministère de l'Économie et des Finances, c'était vraiment sur l'accompagnement de la conception et la structuration du projet, et ensuite la mobilisation des financements pour pouvoir le mettre en œuvre.
AE : Au-delà du financement, est-ce que des partenariats, notamment publics-privés, ont été requis pour essayer de renforcer la chaîne de valeur et assurer des débouchés durables aux jeunes producteurs que vous formez ?
SA : Tout à fait, cela a d'ailleurs fait l'objet de nombreuses réunions. Les questions étaient : d'abord, est-ce qu'on souhaite que les entrepreneurs aient la responsabilité d'écouler eux-mêmes la production ou est-ce qu'on les accompagne ? Le choix fait, c'est que les jeunes, vu qu'ils seront vraiment au début en termes d'expérience, au tout début de leur montée en compétences en tant qu'entrepreneurs agricoles, on leur demande de ne se focaliser que sur la production, pendant qu'ils seront accompagnés dans le cadre de partenariats avec des agrégateurs nationaux, régionaux, qui vont racheter la production et accompagner sur les intrants, etc.
On leur demande de ne se focaliser que sur la production, pendant qu'ils seront accompagnés dans le cadre d'accords avec des partenaires nationaux et régionaux qui vont racheter la production.
Ca, c'est le premier type de partenariat. L'autre, c'est un accompagnement également dans la recherche de contrats, qui aiderait à pouvoir écouler les productions. En gros, ce n'est pas les jeunes qui vont écouler, c'est plutôt le projet qui cherche en fait des modalités de commercialisation avec des partenaires et les associations existantes.
AE : Disposez-vous déjà d'éléments sur les premiers impacts observés tant sur le plan économique, que social ou territorial ?
SA : Alors, on est vraiment au tout début du projet. La mobilisation des financements a été clôturée. Aujourd'hui, on est à la phase de mobilisation et de démarrage. On a lancé l'appel à candidatures pour la phase pilote dans l'Atlantique et l'Ouémé, et il y a un vrai engouement. On a eu plus de 900 candidatures combinées sur les deux départements.
Comme je disais, un appel à candidatures sur le territoire national va être lancé très bientôt. Donc, il faut suivre les pages de l'ANPE, de l'ADPME et du Projet d'inclusion des Jeunes (ProDIJ) surtout, pour en savoir plus et ne pas rater les communications. C'est vraiment une aubaine pour les jeunes.
AE : Comment est-ce que vous percevez cette approche dans le temps ? Est-ce juste une politique ponctuelle ou elle est appelée à s'inscrire dans une stratégie d'industrialisation agricole à long terme ?
SA : Elle s’inscrit totalement dans une stratégie à long terme. On parle quand même de 41,3 millions USD mobilisés par la Banque mondiale dans le cadre de ce projet qui est sous « AZOLI », un programme phare du ProDIJ. Ici, on est vraiment sur une stratégie long terme en parallèle à la dynamique de structuration des filières. Et donc, si ce modèle-là fonctionne, on peut le répliquer dans d'autres filières. Ce qu'on souhaite, c'est qu'il y ait des champions nationaux de l'entrepreneuriat agricole qui soient accompagnés, qu'il y ait le dispositif et le fonds de roulement qu'il faut.
Si on prend le cas de la consommation locale par rapport à la production, l'objectif est de 1000 poulets de chair tous les 45 jours. Ça fait donc 1 million de poulets de chair si on multiplie 1 000 jeunes par 1 000 poulets, ce qui représenterait selon nos calculs, à peu près entre 10 à 20 % de la demande nationale. Donc, effectivement, ils seraient des acteurs tout de même assez significatifs dans le dispositif, d'autant plus qu'on cherche également à les structurer en coopératives.
Propos recueillis par Moutiou Adjibi Nourou
