
Public Eye affirme que Nestlé commercialise en Afrique des céréales pour bébés plus sucrées que celles vendues en Europe. Le groupe conteste, assure respecter les normes et met en avant ses efforts pour développer des gammes sans sucres ajoutés.
Une enquête publiée par Public Eye relance le débat sur les pratiques de Nestlé en matière d’alimentation infantile en Afrique. L’ONG suisse a déclaré, mardi 18 novembre, que la multinationale propose sur le continent des céréales pour bébés contenant des niveaux élevés de sucres ajoutés, alors que les produits équivalents vendus en Europe n’en contiennent pas.
Nestlé rejette ces accusations et affirme se conformer à toutes les réglementations en vigueur.
Ce n’est pas la première fois que l’ONG suisse aborde ce problème. L’an dernier, elle avait publié un rapport révélant la présence de quantités importantes de sucres ajoutés dans des marques phares telles que Nido et Cerelac, exportées vers les pays les moins avancés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique, alors que les mêmes produits destinés à l’Europe n’en contenaient pas.
Selon l’enquête, Public Eye et ses partenaires ont acheté une centaine de produits Cerelac dans vingt pays africains, puis les ont fait analyser par Inovalys, un laboratoire français spécialisé dans l’agroalimentaire.
Des niveaux de sucre alarmants et un double standard
Les résultats publiés par l’ONG indiquent que plus de 90 % des références contiennent du sucre ajouté, avec une moyenne d’environ six grammes par portion. Cela correspond à un cube et demi de sucre, et représente un niveau 50 % plus élevé que celui observé lors de l’étude de 2024 sur les produits vendus en Asie et en Amérique latine. L’enquête précise aussi que certaines formules atteignent 7,5 g par portion, notamment dans des produits destinés aux bébés de six mois au Kenya, soit presque deux cubes de sucre. Des concentrations d’au moins sept grammes par portion ont été relevées dans sept pays africains.
L’ONG souligne également les différences avec les marchés européens : en Suisse, en Allemagne ou au Royaume-Uni, les variantes de Cerelac pour les nourrissons de six mois ne contiennent pas de sucres ajoutés. Quelques produits sans sucres ajoutés existent en Afrique du Sud, mais ils ont été introduits récemment. Le reste des produits sans sucre, retrouvés en Afrique, proviendrait d’importations réalisées par des tiers depuis l’Europe. Public Eye y voit un double standard et appelle Nestlé à harmoniser sa formulation au niveau mondial, conformément aux recommandations internationales. Vingt organisations de la société civile de treize pays africains ont signé une lettre ouverte en ce sens.
L’enquête pointe aussi un manque de transparence : deux tiers des produits analysés n’indiqueraient pas clairement la quantité de sucres ajoutés, ce qui rend, selon les ONG, l’évaluation de la qualité nutritionnelle difficile pour les parents africains. Des spécialistes de santé publique cités par Public Eye rappellent que l’exposition précoce au sucre peut entraîner une préférence durable pour les aliments très sucrés, un facteur de risque reconnu dans le développement du surpoids et des maladies métaboliques.
Ces inquiétudes sont renforcées par le fait que le nombre d’enfants de moins de cinq ans en surpoids en Afrique a presque doublé depuis 1990, selon l’OMS. L’Organisation recommande par ailleurs l’absence totale de sucres ajoutés dans les aliments destinés aux enfants de moins de trois ans.
Nestlé conteste les conclusions de Public Eye, qualifie les éléments fournis par l’ONG de « trompeurs et infondés » et souligne qu’elle respecte les réglementations nationales, souvent alignées sur les standards internationaux du Codex Alimentarius. L’entreprise affirme que les niveaux de sucres ajoutés dans ses produits destinés au marché africain sont conformes aux limites en vigueur, et reproche à Public Eye de ne pas avoir communiqué suffisamment de détails pour permettre une vérification complète de son analyse. La société veveysane ajoute que les chiffres relayés incluent parfois les sucres naturellement présents dans les ingrédients, comme le lait ou les fruits, ce qui, selon elle, fausse l’interprétation.
La multinationale met également en avant ses efforts pour élargir ses gammes sans sucres ajoutés. Selon sa communication officielle, ces produits sont désormais disponibles dans 97 % de ses marchés, y compris en Afrique, avec l’objectif d’une couverture totale d’ici la fin de l’année 2025.
Nestlé rappelle par ailleurs que, dans plusieurs pays africains, la malnutrition reste un défi majeur et que ses céréales enrichies constituent une source importante de micronutriments pour les nourrissons. L’entreprise affirme aussi que les bébés sont naturellement habitués à un goût légèrement sucré, ce qui favoriserait l’acceptation des produits.
L’enquête de Public Eye a le mérite de mettre en lumière les enjeux du secteur. La méthodologie employée par l’ONG pourrait être clarifiée si un échange technique s’engage entre le laboratoire et l’entreprise. Sur le plan réglementaire, l’évolution des normes nationales en Afrique, possiblement influencée par les recommandations de l’OMS et la mobilisation de la société civile, pourrait conduire à des exigences plus strictes concernant l’ajout de sucre. La pression citoyenne pourrait également s’intensifier : une pétition lancée en 2024 avait déjà recueilli plus de cent mille signatures. Quant aux engagements annoncés par Nestlé, ils seront suivis de près, notamment la généralisation des produits sans sucres ajoutés d’ici 2025.
Olivier de Souza
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