Papa Amadou Sarr – DG Porteo : « L’Afrique doit dérisquer massivement pour attirer les capitaux privés »

Publié le 20/11/2025

Ancien directeur de la mobilisation et des partenariats au sein de l’AFD, aujourd’hui directeur général du groupe Porteo, Papa Amadou Sarr a profité du Choiseul Africa Business Summit qui s'est tenu les 4 et 5 novembre 2025 au Maroc, pour partager avec l’Agence Ecofin sa vision de l’industrialisation africaine. À la tête de cet acteur panafricain du BTP et des infrastructures, il plaide pour un dérisquage massif des économies du continent, une refonte du financement des infrastructures et une montée en puissance des coentreprises africaines pour structurer les chaînes de valeur régionales.

Agence Ecofin : M. Sarr, vous avez passé plusieurs années à la tête de la mobilisation et des partenariats au sein de l’AFD, un poste stratégique. Comment cette expérience influencera-t-elle aujourd’hui votre vision du secteur privé africain et particulièrement de Porteo ?

Papa Amadou Sarr : Merci beaucoup. Effectivement, j’ai passé trois ans à la tête du département de la mobilisation, des financements et du partenariat au sein du groupe Agence française de développement. Cette expérience m’a permis de mesurer à quel point le secteur privé est devenu un acteur majeur du développement en Afrique.

C’est lui qui crée l’essentiel des emplois, qui mobilise les ressources financières pour les infrastructures, l’eau, l’assainissement ou encore l’éducation, et qui accompagne les gouvernements à travers les partenariats public-privé. Pour que ce secteur privé africain soit fort, il doit être mieux soutenu et évoluer dans un environnement propice – ce qui relève de la responsabilité des États.

« C’est le secteur privé qui crée l’essentiel des emplois, qui mobilise les ressources financières pour les infrastructures, l’eau, l’assainissement ou encore l’éducation […] »

En rejoignant Porteo, acteur majeur des infrastructures et du BTP en Côte d’Ivoire, je mets à profit les enseignements tirés de l’AFD et de mon passage au gouvernement sénégalais. Tout cela me sera très utile pour renforcer les performances du groupe et l’amener aux standards internationaux.

Agence Ecofin : Chez Porteo, vous passez d’une institution publique de financement à une entreprise d’exécution et d’investissement. Comment conciliez-vous rigueur publique et compétitivité privée ?

Papa Amadou Sarr : Je pense que les deux logiques convergent. Dans le public comme dans le privé, l’objectif est de réaliser les projets de manière efficace et efficiente, avec des ressources financières qui se raréfient. Les budgets d’aide au développement ont diminué, notamment aux États-Unis et en Europe, et les États africains sont désormais en concurrence pour obtenir des financements.

Le secteur privé, lui, doit conquérir de nouveaux marchés. Et il faut rappeler que 90 % de nos clients sont des États ou des collectivités locales. Nous partageons donc les mêmes impératifs : faire plus avec moins, garantir une gestion rigoureuse, créer des synergies et gagner en compétitivité.

« Les budgets d’aide au développement ont diminué, notamment aux États-Unis et en Europe, et les États africains sont désormais en concurrence pour obtenir des financements. »

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Papa Amadou Sarr et Moutiou Adjibi Nourou, rédacteur en chef Politiques publiques de l'Agence Ecofin

Agence Ecofin : Porteo se présente comme un acteur panafricain du BTP et des infrastructures. Quelle est votre feuille de route à court et moyen terme pour renforcer cet ancrage continental ?

Papa Amadou Sarr : Je viens d’arriver il y a un mois, mais Porteo est déjà présent dans huit pays. Dans les trois ou quatre prochaines années, notre objectif est de couvrir la plupart des pays de la CEDEAO et de progresser en Afrique de l’Est, notamment dans les pays anglophones.

Dans le plan stratégique que nous finaliserons début 2026, nous visons une présence dans 10 à 15 pays. Et nous ambitionnons de dépasser le milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, pour ensuite le doubler ou le tripler. Cela passera par des équipes renforcées et requalifiées pour atteindre nos objectifs.

« Nous ambitionnons de dépasser le milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, pour ensuite le doubler ou le tripler. »

Agence Ecofin : Le continent semble engagé dans un nouveau cycle d’industrialisation, notamment via la ZLECAf et les programmes d’intégration régionale. Quels chantiers sont prioritaires selon vous pour accélérer cette dynamique ?

Papa Amadou Sarr : Partout en Afrique émergent des parcs industriels, des zones économiques spéciales et des zones franches. Les gouvernements ont compris que la création d’emplois, la valeur ajoutée et la richesse passent par l’industrialisation.

L’enjeu est clair : transformer davantage nos matières premières – agricoles, minières ou extractives. Longtemps, l’Afrique a exporté ses ressources sans transformation. Aujourd’hui, les gouvernements travaillent avec les multinationales pour installer les industries sur place, créer de la valeur localement et renforcer les entreprises africaines.

Porteo s’inscrit dans cette dynamique. Nous avons déjà commencé à verticaliser nos chaînes de production : nous fabriquons notre propre bois, notre aluminium, notre béton et plusieurs intrants nécessaires à nos travaux. C’est cohérent avec la stratégie 2060 de l’Union africaine et la ZLECAf, qui visent une intégration plus profonde du continent dans les chaînes de valeur mondiales.

Agence Ecofin : Vous avez travaillé au plus près des bailleurs internationaux. Que faut-il changer dans la manière de concevoir les projets d’infrastructures en Afrique pour attirer davantage de capitaux privés ?

Papa Amadou Sarr : Il faut dérisquer, dérisquer, dérisquer. Le risque pays en Afrique est trop élevé, souvent surévalué, ce qui freine les investisseurs. Cela dépend des agences de notation, des banques, des agences de crédit export… et cela impacte directement la disponibilité et le coût des financements à long terme.

Or, les infrastructures nécessitent des maturités de 15, 20 ou 30 ans, et très peu d’investisseurs acceptent ce niveau de risque. Les gouvernements doivent donc améliorer l’environnement des affaires, tandis que les institutions bilatérales et multilatérales doivent revoir leur regard sur le continent et permettre aux pays africains d’accéder à des financements plus abordables.

« Les infrastructures nécessitent des maturités de 15, 20 ou 30 ans, et très peu d’investisseurs acceptent ce niveau de risque. »

Agence Ecofin : Corridors logistiques, interconnexions énergétiques, zones industrielles transfrontalières… Quels sont, selon vous, les projets les plus structurants à l’horizon 2030 et 2060 ?

Papa Amadou Sarr : Je citerais trois grands ensembles. D’abord le corridor est-africain Nairobi-Mombasa. Ensuite, le corridor austral reliant l’Afrique du Sud au reste du continent. Enfin, la dynamique nord-sud portée par le Maroc, notamment via Dakhla, qui avance vers la Mauritanie, le Sénégal et le Mali.

Ces corridors sont essentiels pour développer les infrastructures de production, les routes, les autoroutes, les ponts, mais aussi pour permettre l’exportation des produits manufacturés ou miniers vers les ports. Beaucoup de pays sont enclavés. Un minerai extrait au Mali ou au Burkina doit passer par Dakar, Abidjan ou Conakry.

L’Afrique a besoin d’environ 100 milliards de dollars par an pour combler son déficit d’infrastructures. Les gouvernements doivent y investir massivement, avec l’appui de leurs partenaires financiers.

« Beaucoup de pays sont enclavés. Un minerai extrait au Mali ou au Burkina doit passer par Dakar, Abidjan ou Conakry. »

Agence Ecofin : Sur ces projets, Porteo compte-t-il se positionner comme partenaire stratégique — en consortium ou en développement direct ?

Papa Amadou Sarr : Sans aucun doute. Nous le faisons déjà en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, notamment au Gabon. Nous voulons désormais avancer vers l’Est : Tanzanie, Kenya, Rwanda. En tant qu’entreprise panafricaine, notre ambition est de créer des partenariats, des joint-ventures, des alliances avec d’autres grands groupes africains ou européens qui croient au potentiel du continent. Pour construire des routes, des autoroutes, des ponts, des aéroports, des ports, des infrastructures productives. Nous sommes au cœur de cette dynamique, et nous n’avons pas l’intention de nous arrêter.

Propos recueillis par Moutiou Adjibi Nourou