Sous la ZLECAf, les premiers échanges africains prennent forme, mais…

Publié le 13/10/2025

Alors que plusieurs pays multiplient les premiers échanges sous le régime de la ZLECAf, la question de la mise en œuvre réelle de la zone de libre-échange africaine revient au premier plan. Dans un contexte de tensions commerciales et de redéfinition des chaînes d’approvisionnement mondiales, le marché africain cherche encore son rythme.

En fin de semaine dernière, l’Éthiopie a annoncé ses premières expéditions sous le régime de la ZLECAf. La cargaison rassemble de la viande, des fruits et d’autres produits agricoles à destination de la Somalie, du Kenya et de l’Afrique du Sud. Selon les autorités éthiopiennes, ces envois par route et par avion marquent l’entrée effective du pays dans le commerce préférentiel intra-africain. Cette annonce intervient alors que plusieurs États avaient déjà communiqué sur des expéditions similaires. Depuis 2022 et le lancement de la phase pilote de la ZLECAf, connue sous le nom de Guided Trade Initiative (GTI), les premiers contours d’un marché africain intégré se dessinent, à mesure que les pays participants testent les mécanismes tarifaires et douaniers de l’accord.

Selon les parties prenantes, la GTI a été lancée pour tester concrètement les mécanismes de la ZLECAf — dédouanement, certificats d’origine, mise en œuvre des préférences — avant sa généralisation. Un rapport publié en mai 2024 par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique explique que ce dispositif réunit les pays jugés prêts à commercer sous préférences, après vérification de leurs capacités administratives, tarifaires et douanières. Le document rappelle un noyau initial composé de plusieurs États parmi lesquels le Cameroun, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, Maurice, le Rwanda, la Tanzanie ou encore la Tunisie. D’après la même source, 13 pays avaient, au début de 2024, rempli les conditions techniques pour échanger dans ce cadre, tandis que plus de vingt avaient déjà transmis leurs offres tarifaires.

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Dans l’édition 2025 de son African Trade Report, Afreximbank apporte des précisions utiles. Elle indique qu’à la fin de 2024, la GTI s’était étendue à 38 États. 37 d’entre eux avaient finalisé leurs barèmes tarifaires et modernisé leurs systèmes douaniers, permettant les premières opérations concrètes. L’extension a inclus de grandes économies comme l’Afrique du Sud et le Nigeria et permis les premières expéditions de batteries kényanes et de café rwandais vers le Ghana, avec des frais de douane réduits et des procédures allégées.

Le document mentionne aussi les avancées de la ZLECAf elle-même. Au début de 2024, cinquante-quatre des cinquante-cinq États membres de l’Union africaine avaient signé l’accord, l’Érythrée restant le seul à ne pas l’avoir fait. Quarante-sept avaient déjà déposé leurs instruments de ratification en mai 2024. En février, le secrétariat de la ZLECAf a publié les protocoles révisés sur l’investissement, le commerce numérique, la concurrence, la propriété intellectuelle et l’inclusion des femmes et des jeunes. En décembre, la mise à jour du e-Tariff Book, développée avec l’Organisation mondiale des douanes, a permis d’ajouter un module consacré aux règles d’origine et aux taux tarifaires préférentiels.

Avant l’Éthiopie, la Namibie avait fait une annonce similaire. En juin dernier, elle a effectué depuis le port de Walvis Bay sa première expédition commerciale sous le régime de la ZLECAf. La cargaison, composée de produits agroalimentaires et manufacturés, était destinée à l’Afrique du Sud et au Botswana. En juillet 2025, Tralac indiquait également que la Tanzanie avait exporté plus de 14 000 tonnes de fibre de sisal de mai 2023 à décembre 2024 vers 17 pays africains dans le cadre de la GTI, générant près de 23 millions $ de recettes.

image 2 copy copy copyLancement officiel du premier lot d’exportation de la Namibie sous le régime de la ZLECAf

Un chemin encore long

Si ces développements traduisent une progression tangible, les données disponibles sur le commerce intra-africain apportent une autre clé de lecture. Selon Afreximbank, les échanges intra-africains ont progressé de 12,4 % en 2024, pour atteindre 220,3 milliards de dollars, après une baisse de 5,9 % un an plus tôt. La banque attribue cette reprise à une amélioration générale des échanges régionaux et à la résilience du commerce africain, sans toutefois établir de lien direct avec la mise en œuvre de la ZLECAf. Elle indique néanmoins que « cette tendance positive devrait se poursuivre, soutenue par la mise en œuvre continue de la Zone de libre-échange continentale africaine, qui s’impose comme l’un des piliers de la résilience commerciale du continent ».

Cette perspective optimiste s’accompagne pourtant de constats plus nuancés. Plusieurs analyses rappellent que la mise en œuvre intégrale de la ZLECAf dépend encore d’une série de conditions techniques, logistiques et administratives. Les barrières non tarifaires, la lenteur des procédures frontalières et les disparités réglementaires continuent de freiner les flux commerciaux. Les infrastructures physiques — routes, ports, réseaux électriques et numériques — demeurent inégales, limitant la circulation des biens et des services. De même, tous les États n’ont pas encore harmonisé leurs barèmes tarifaires ni finalisé les mécanismes d’application des règles d’origine. En outre, plusieurs pays n’ont pas encore intégré le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS), censé permettre d’effectuer des transactions en monnaies locales et de réduire la dépendance au dollar ou à l’euro.

Louis-Nino Kansoun

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