
Fin septembre 2025, l’Équateur annonçait l’apparition de la fusariose de « race tropicale 4 » (TR4) de la maladie de Panama. Cette alerte sanitaire a suscité de vives inquiétudes dans le pays d’Amérique latine, 1er exportateur mondial de bananes avec près de 6 Mt en 2023 soit 1/3 du volume global, mais aussi à l’international. Des craintes de perturbation du commerce du fruit le plus consommé de la planète. Éclairage.
C’est quoi le TR4 ?
TR4 est le nom donné à la quatrième race d’un champignon du genre scientifique Fusarium (d’où le nom Fusariose) qui se développe au sol et asphyxie le bananier, l’empêchant de prélever les nutriments dont il a besoin pour se développer. Découverte en 1970 dans des bananeraies à Taïwan, elle affecte aujourd’hui un plus large spectre de variétés de bananes desserts et plantains, se propageant à travers plusieurs canaux comme le matériel de plantation ou l’eau d’irrigation.
« Les symptômes mettent du temps à apparaître. Une fois que le champignon est introduit dans une plantation de bananes, il peut s’écouler de 6 à 24 mois avant que la maladie devienne visible. Pendant cette période, l’agent pathogène se propage dans le sol et l’eau à l’insu des cultivateurs, qui ne se rendent pas compte de sa présence » explique Altus Viljoen de l’Université de Stellenbosch en Afrique du Sud, l’un des principaux experts mondiaux de cette maladie.
« En se défendant, le bananier obstrue quelque part ses propres vaisseaux et finit par mourir. Cela peut prendre de quelques mois à quelques années » avait expliqué à l’Agence Ecofin, Denis Loeillet, chercheur au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).
Quels sont les autres pays touchés ?
Avec cette annonce, l’Équateur devient le dernier poids lourd du commerce de ce fruit en date à être affecté après la Colombie (5e exportateur) en 2019 et les Philippines (2e exportateur) en 2005. Au total, l’affection touche plus d’une vingtaine de pays producteurs à travers le monde dont l’Australie, la Chine, le Laos et le Cambodge, le Venezuela, le Pérou, le Vietnam, Myanmar, la Thaïlande et l’Inde. Sur le continent africain, il a été signalé pour la première fois en 2013 dans des exploitations au Nord du Mozambique.
Pourquoi le TR4 inquiète l’industrie mondiale de la banane ?
Si cette nouvelle est prise au sérieux par les acteurs de l’industrie bananière, c’est d’abord parce que le TR4 est l’une des maladies les plus destructrices connues dans le monde végétal. Selon la FAO, elle peut rapidement entraîner une perte totale du rendement.
En outre, à l’heure actuelle, il n’existe aucun fongicide ou autre méthode d'éradication efficace contre la TR4. En d’autres termes, la seule solution connue est de mettre en place des conditions de biosécurité pour en prévenir l’apparition. Le cas échéant, la gestion de la maladie reste un processus coûteux et difficile.
« Quand vous avez un bananier qui est touché par exemple aux Philippines, vous arrachez le pseudo-tronc et la racine, puis vous essayez de mettre des produits chimiques pour tenter de contrôler le champignon. Et vous faites également un vide sanitaire autour du bananier touché, puis après autour d’un autre et ainsi de suite. Vous pouvez vivre un peu avec la maladie, mais cela s’accompagne d’une perte de productivité. Au final, vous êtes obligés de déménager votre plantation » explique M. Loeillet.
Sur un autre plan, les observateurs redoutent surtout que la variété de banane « Cavendish », qui représente 95% du commerce mondial et 50% de la production, subisse le même sort que la défunte variété « Gros Michel ». Vedette des circuits de distribution dans les années 50, cette variété jadis hégémonique sur le marché international a en effet été quasiment éradiquée par la première race de la maladie (TR1).
S’il est trop tôt pour présumer de ce scénario, certains observateurs indiquent que la situation actuelle où les systèmes de culture, les techniques d’emballage, la logistique ou encore le processus de mûrissement sont tous standardisés pour la Cavendish, expose l’industrie à des risques. Cette variété de banane ne comporte pas de pépins, ce qui signifie que le fruit est stérile, incapable de se reproduire via le processus normal d’ensemencement. Il est de fait très vulnérable aux pathologies et aux nuisibles.
Quels sont les enjeux ?
Ce dernier développement en Équateur survient selon diverses analyses dans un contexte difficile pour l’industrie de la banane. En 2020 pendant la pandémie de Covid-19, le secteur a fait face à plusieurs complications comme la hausse des prix des engrais et du matériel d’emballage, les pénuries de conteneurs réfrigérés, et les hausses importantes des coûts mondiaux du transport. Depuis la fin de cette crise sanitaire, les conditions météorologiques défavorables ont favorisé la propagation de maladies végétales et affecté la productivité.
Alors que la banane est actuellement le fruit le moins cher au monde, la maintenir comme telle pourrait être de plus en plus délicat dans les prochaines années avec les pertes de production et les importants coûts financiers liés aux mesures de prévention du TR4 dans plusieurs régions du monde. Des appels se font déjà entendre pour des prix plus élevés visant à préserver un niveau de bénéfice minimum aux producteurs et leur permettre de mieux investir dans les plantations, afin de faciliter la transition vers des systèmes de production plus durables.
Sur un autre volet, certains appellent à une amélioration des variétés actuelles par des croisements pour créer des hybrides, ou par la modification génétique. Il faut savoir qu’actuellement, le vaste patrimoine génétique mondial du bananier comprend plus de 1000 variétés.
« Oser changer de variété reviendrait à remettre en question des décennies de savoir-faire et d’habitudes. Le marché déteste les ruptures technologiques, sauf lorsqu’elles sont imposées par la réglementation, la contrainte technique, les maladies ou encore la demande des consommateurs. L’expansion de la maladie TR4 laisse donc penser que la diversification est la voie nécessaire à suivre » indiquait la revue Fruitrop du Cirad consacrée aux fruits tropicaux, dans une édition spéciale dédiée à la pathologie en 2019.
Espoir Olodo
Edité par : Feriol Bewa
Lire aussi : « La fusariose TR4 représente un défi immense pour la filière banane, mais aussi une opportunité » (Denis Loeillet)