
Le nouveau président de la BAD, Sidi Ould Tah, a insisté sur le dossier visant à permettre au Fonds africain de développement d’accéder aux marchés de capitaux, une réforme urgente pour renforcer la capacité de financement du continent face à la raréfaction des ressources publiques.
Docteur Sidi Ould Tah, qui a officiellement pris ses fonctions de président de la Banque africaine de développement le 1er septembre 2025, a rappelé l’urgence de ratifier la charte du Fonds africain de développement (FAD) afin de lui permettre, avant le 31 décembre prochain, d’atteindre un seuil de 85 % d’accès possible au financement sur les marchés de capitaux. «?Sans cela, notre capacité à servir sera fondamentalement limitée?», a-t-il souligné.
Actuellement, le FAD ne peut mobiliser des ressources qu’auprès des prêteurs concessionnels tels que les États et les institutions de financement du développement. Une logique conforme à la nature du fonds, qui est le guichet « concessionnel » du groupe de la BAD, et à son rôle, qui consiste à fournir des financements très favorables (prêts à conditions souples, dons) aux pays à faible revenu.
Cette question avait déjà été abordée lors de la première réunion technique de mars 2025 sur la reconstitution du fonds, mais la mise en œuvre d’une telle évolution ne s’annonce pas simple. Il s’agira désormais de lever des capitaux à des taux de marché, pour soutenir des économies dont la capacité de gestion de la dette demeure fragile. L’un des enjeux majeurs sera donc de convaincre les investisseurs de la solidité du dispositif de maîtrise des risques.
Lors des échanges de Lusaka, Sidi Ould Tah a reconnu l’ampleur du défi. Selon la BAD, il a indiqué qu’un dialogue stratégique avec les agences de crédit à l’exportation et les institutions de financement du développement serait organisé en décembre afin d’établir de nouveaux partenariats pour mobiliser des investissements privés dans les pays éligibles au FAD.
Par ailleurs, la Banque africaine de développement pourrait également faire usage des instruments financiers à sa disposition — garanties, financements mixtes, émissions en monnaie locale ou appui à la préparation de projets — dans une offre unifiée conçue pour réduire les risques liés aux marchés fragiles et créer des opportunités d’investissement concrètes.
«?Ensemble, nous pouvons mettre en place un FAD-17 robuste et tourné vers l’avenir, qui optimise chacune de nos capacités, renforce la résilience et la prospérité en Afrique, et qui génère des résultats clairs et mesurables pour chaque contributeur?», a soutenu Sidi Ould Tah. Pourtant, cette ambition devra passer plusieurs épreuves de crédibilité, notamment vis-à-vis des marchés.
Sur le marché international de la dette, on observe un regain d’intérêt pour les titres souverains africains. L’écart moyen entre les taux d’emprunt et les rendements, indicateur du sentiment des investisseurs, s’est réduit à une moyenne de 3,4 %, une première en quinze ans selon Bloomberg. De plus, la Banque africaine de développement, maison mère du FAD, est parvenue à conserver sa note « AAA » chez Moody’s, l’une des principales agences de notation au monde. Un pays comme le Danemark a également apporté une note d’optimisme, en annonçant une hausse de 40 % de sa contribution pour la porter à l’équivalent de 172 millions $ (au taux de change actuel avec la couronne danoise).
Le défi reste toutefois immense. L’Afrique doit encore combler un déficit annuel de 650 milliards $ en financements extérieurs pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD). Dans le même temps, l’arrivée de l’administration Trump aux États-Unis et sa nouvelle approche de la coopération internationale et du climat laissent planer une incertitude sur la contribution de ce partenaire historique du FAD. Avec la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, ces quatre pays avaient apporté 2,4 milliards $ à la constitution du 16e FAD. Mais les trois partenaires européens affrontent des pressions internes persistantes, et le gap de financement pourrait atteindre 850 millions $.
Des pays comme la Chine, la Corée du Sud, la Norvège et la Suède sont, eux, perçus comme des contributeurs susceptibles d’augmenter leur participation. Par ailleurs, la BAD et plusieurs pays africains ont confirmé, lors d’opérations récentes, leur capacité à lever près de 2 milliards $ en une seule fois sur les marchés internationaux. Ces discussions se sont déroulées du 7 au 9 octobre 2025 à Lusaka, en Zambie, lors d’une ultime réunion technique avant la rencontre de décembre 2025 à Londres, au Royaume-Uni, consacrée à la reconstitution du 17e Fonds africain de développement.
Y ont pris part les représentants des pays bénéficiaires du mécanisme, ainsi que ceux du conseil d’administration de la BAD, y compris les membres issus des pays non africains. L’objectif de la rencontre était de définir les priorités, le cadre de financement et la stratégie d’implémentation du prochain cycle de collaboration, prévu entre 2026 et 2028. Ces complexités liées au financement interviennent alors que le Fonds monétaire international, dans son dernier rapport sur le suivi budgétaire, invite désormais les pays émergents à s’adapter pour faire plus avec moins de ressources.
Idriss Linge