
Le marché africain du M&A recule de 21 % au premier semestre 2025. Le retrait des capitaux étrangers freine les opérations, mais les investisseurs régionaux commencent à combler le vide, portés par des opportunités à long terme.
Le marché africain des fusions-acquisitions (M&A) connaît un passage à vide. Au premier semestre 2025, le nombre d’opérations a reculé de 21 %, selon le rapport DealMakers Africa (Q2 2025). Une tendance qui reflète un reflux des investisseurs étrangers, échaudés par la remontée des taux d’intérêt mondiaux, la force du dollar et l’instabilité politique persistante dans plusieurs grandes économies du continent.
Un marché privé fragilisé par le retrait des capitaux internationaux
Les transactions recensées sur le continent (hors Afrique du Sud) ont totalisé 4,66 milliards de dollars sur les six premiers mois de l’année, contre 5,52 milliards un an plus tôt, soit une chute de 16 %. Le marché reste 61 % en dessous de son pic de 2022, année où il avait atteint près de 12 milliards de dollars.
Pour les analystes, cette baisse n’est pas anecdotique : elle reflète une certaine crise de confiance dans le capital-investissement africain, encore trop dépendant de l’épargne offshore.
« La dépendance aux capitaux étrangers expose les fonds africains à la conjoncture mondiale. La hausse des taux et les contraintes de change ont durci les conditions de financement et freiné la levée de fonds », observe DealMakers Africa.
L’Afrique du Sud résiste, le reste du continent souffre
Les données du rapport DealMakers Africa révèlent une résilience notable de l’Afrique du Sud, qui concentre près de 45 % des transactions recensées sur le continent – environ 80 sur 174, pour une valeur estimée à 2,5 milliards de dollars. Le pays profite d’un écosystème financier profond, d’une base solide d’investisseurs institutionnels et d’une réglementation stable, qui lui permettent d’amortir le retrait des capitaux étrangers.
Ailleurs, le ralentissement est plus marqué. En Afrique de l’Ouest, le volume d’opérations a chuté d’environ 35 %, ramenant la valeur totale des deals à 650 millions de dollars. Le Nigeria, plombé par la dépréciation du naira et un climat politique et énergétique incertain, concentre la majorité du repli. Le Ghana et la Côte d’Ivoire résistent mieux, mais les transactions y demeurent essentiellement domestiques.
En Afrique de l’Est, la baisse reste plus contenue (–15 %), avec une quarantaine d’opérations, dont la moitié au Kenya. La hausse du taux directeur à 13 %, conjuguée au ralentissement du crédit, freine cependant les acquisitions transfrontalières.
En Afrique centrale, l’activité demeure marginale, avec moins de 10 transactions recensées, concentrées dans le secteur extractif (pétrole, mines) au Gabon, au Congo et au Cameroun. Le manque de diversification économique et la faible profondeur des marchés financiers continuent de limiter l’attractivité régionale.
Enfin, l’Afrique du Nord enregistre un repli de 25 % du nombre de deals, pour une valeur estimée à 400 millions de dollars. Le Maroc et l’Égypte, jadis moteurs, subissent la contraction des financements européens et le ralentissement des investissements énergétiques, malgré quelques opérations dans la logistique et les services.
L’énergie tire encore son épingle du jeu
Dans ce contexte morose, l’énergie reste le principal moteur de l’activité M&A. Deux transactions majeures dans ce secteur ont représenté à elles seules près de 2,2 milliards de dollars, soit presque la moitié de la valeur totale des opérations enregistrées sur le continent.
Il s’agit principalement de désinvestissements d’actifs pétroliers par des majors internationales et de consolidations régionales entre acteurs africains cherchant à renforcer leur autonomie énergétique. Parmi les opérations les plus significatives figurent la cession par Eni à Vitol de participations dans plusieurs actifs pétroliers et gaziers en Côte d’Ivoire et en République du Congo, pour un montant estimé à 1,65 milliard de dollars, ainsi que la vente par TotalEnergies de sa participation de 12,5 % dans le champ offshore Bonga au Nigeria à Shell et Agip, valorisée à environ 510 millions de dollars.
Le private equity en panne
Les opérations de capital-investissement ont été divisées par deux : 75 transactions pour 341 millions de dollars, contre 121 opérations et 554 millions sur la même période en 2024.
Autre signe du repli : toutes les transactions ont été menées par des investisseurs africains, sans participation étrangère.
Ce retrait massif découle de marchés boursiers atones, d’une faible activité des acquéreurs stratégiques et de difficultés de sortie pour les fonds, limitant leur appétit.
Une recomposition sectorielle en cours
La correction des valorisations dans la tech et la fintech, après l’euphorie de 2022, a redéfini les priorités des investisseurs. Ces derniers se repositionnent désormais sur des secteurs défensifs : santé, agriculture, logistique ou chaînes de valeur alimentaires. Ce virage traduit un retour aux fondamentaux, vers une économie plus tangible et moins spéculative.
Des perspectives à long terme inchangées
Si la conjoncture actuelle reste difficile, les fondamentaux du continent demeurent solides. La croissance démographique, qui devrait porter la population africaine au-delà de 1,7 milliard d’habitants d’ici 2030, l’urbanisation rapide, ainsi que les besoins massifs en infrastructures, énergie et santé, continuent de soutenir le potentiel d’investissement.
Malgré la prudence des marchés, de nombreux analystes estiment que la correction en cours pourrait créer un effet d’aubaine pour les investisseurs disposant de ressources de long terme. Les valorisations plus réalistes, combinées à une demande structurelle forte dans les secteurs productifs – agriculture, logistique, énergies renouvelables – ouvrent la voie à une nouvelle phase de consolidation.
« L’Afrique a besoin de capitaux patients. Les valorisations actuelles offrent des points d’entrée attractifs pour les investisseurs prêts à miser sur le long terme », concluent les équipes de DealMakers Africa, soulignant que la trajectoire du continent reste celle d’un marché d’opportunités, plus que d’incertitudes.
Fiacre E. Kakpo