La Centrafrique, cas d'école des limites du Processus de Kimberley sur les diamants

Publié le 25/06/2025

Imaginé en 2000 dans une ville sud-africaine qui lui a donné son nom, le Processus de Kimberley est devenu en 2003 le premier mécanisme mondial de certification des diamants. Grâce à un partenariat entre pays producteurs et organisations de la société civile, il s’assure que les diamants naturels n’alimentent pas des conflits dans le monde.

L'embargo imposé sur les exportations de diamants en Centrafrique n'a pas réussi à perturber le financement des rebelles. C’est ce que conclut l’International Peace Information Service (IPIS) dans un nouveau rapport paru mi-juin 2025, quelques mois après la levée complète de cette interdiction par le Processus de Kimberley (KP). Le constat fait par les auteurs s’inscrit dans une tendance générale de critiques à l’égard de ce mécanisme de certification établi en 2003.

Décidé pour la première fois en 2013, l’embargo sur les exportations de diamants est survenu après un coup d’Etat en Centrafrique. Conformément à sa mission principale qui est de couper les sources de financement qui alimentent les rébellions armées à travers le monde, le Processus de Kimberley a exclu la Centrafrique pour éviter que les diamants extraits ne servent au financement des groupes rebelles locaux. Mais, sur la base d’entretiens avec des mineurs, des négociants, des représentants de l’État et de la société civile, l’IPIS estime que l’objectif n’a pas été atteint.

Intitulé « Diamonds, conflict and crime in the Central African Republic: The lifting of the last Kimberley Process embargo », le document indique qu’au lendemain de l’interdiction, plusieurs factions rebelles ont plutôt accru la production sur les sites sous leur contrôle et installé des « administrations minières parallèles » pour taxer les mineurs. Alors que le gouvernement centrafricain a obtenu du KP une levée partielle de l’embargo à partir de 2016, la contrebande est restée « dominante ». Par exemple, les limites des sous-préfectures sont traversées par des zones minières, aboutissant à une situation où le même gisement est divisé en zone conforme et en zone non conforme.

« Cette compartimentation crée des opportunités pour que les diamants provenant de sites non conformes soient présentés à tort comme provenant de zones conformes. Bien que le système de chaîne de contrôle de la République centrafricaine exige des négociants qu'ils présentent des bons d'achat documentant l'origine des diamants, la nature informelle de nombreuses transactions et le nombre considérable de mines dispersées sur de vastes régions rendent extrêmement difficile toute vérification approfondie », explique l’IPIS.

Des effets pervers inattendus

Outre les échecs à empêcher le financement des groupes rebelles grâce au négoce de diamants, l’embargo du KP a aussi pénalisé les mineurs artisanaux. Les négociants ont en effet appliqué une « prime de risque » qui réduit la valeur payée aux mineurs, tandis que les circuits de financement se sont taris. À Boda, autrefois un des principaux sites de production, les mineurs expliquent que les investisseurs étrangers fournissaient le matériel et préfinançaient leurs opérations. « Mais aujourd'hui, nous sommes livrés à nous-mêmes », constate l’un d’eux.

L’embargo a par ailleurs poussé le négoce des diamants dans la clandestinité, permettant aux réseaux criminels de prospérer. Le rapport dénonce aussi la complicité de l’Etat.

« Même après la levée partielle de l'embargo, le commerce officiel a eu du mal à regagner du terrain, car la contrebande restait beaucoup plus lucrative et se poursuivait sans contrôle, en raison de l'impunité généralisée. Le KP a finalement échoué dans sa mission principale en République centrafricaine. L'embargo a nui aux communautés minières vulnérables sans parvenir à freiner les activités illicites », conclut le rapport.

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L’angle mort du KP ?

Ce n’est pas la première fois que le Processus de Kimberley est accusé de faillir à sa mission. Il y a plus de 15 ans, le Partenariat Afrique Canada (devenu IMPACT) soulignait des dysfonctionnements dans le mécanisme de certification des diamants en RDC. Dans un rapport de 2009, l’organisation a estimé qu’il est impossible de retracer près de la moitié des exportations congolaises de diamants.

« La Revue annuelle de 2008 a mis au jour un écart croissant entre les statistiques d’exportation de la RDC telles que consignées par le ministère des Mines et les chiffres transmis au Processus de Kimberley par les autorités congolaises. La différence atteignait des millions de carats et des dizaines de millions de dollars », expliquait alors le document.

Au-delà des préoccupations sur les chiffres, la Coalition de la société civile du Processus de Kimberley estime de son côté que c’est la définition même des « diamants de conflits » qui pèse sur l’émergence d’une chaine d’approvisionnement entièrement éthique. Cette définition ne couvre que les diamants alimentant des groupes rebelles et exclut les cas de violations des droits de l’homme par des forces de sécurité publique ou des compagnies de sécurité privée travaillant pour l’Etat.

Le cas du groupe russe Wagner en Centrafrique en est l’une des illustrations. En échange de son soutien aux autorités centrafricaines dans leur lutte contre les rebelles, ce groupe s’est vu offrir des concessions minières.

« En levant son dernier embargo sur les diamants de conflit, le KP a implicitement déclaré que les diamants de conflit n'existaient plus […] Si le système ne parvient pas à reconnaître les diamants de conflit en République centrafricaine, où des acteurs armés continuent d'exploiter certaines parties du commerce des diamants, il est peu probable qu'il y parvienne ailleurs », estime le rapport de l’IPIS.

Des pistes de solutions

Tout n’est pourtant pas perdu pour le maintien d’une chaine d’approvisionnement responsable pour le marché des diamants naturels. En Centrafrique par exemple, l’IPIS appelle le gouvernement à développer des moyens logistiques pour contrôler réellement les sites éloignés et suivre chaque lot de diamants, au lieu de se limiter à des visites sporadiques et à des bons d’achat aisément falsifiables.

Le document recommande aussi de renforcer la transparence, en publiant la carte complète des sites artisanaux et industriels, les licences et les ayants droit des sites. L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) a d’ailleurs suspendu la Centrafrique en novembre dernier, quelques jours avant la levée de l’embargo. L’organisation reprochait aux autorités des manquements en matière de transparence et d’implication de la société civile.

Sur un plan plus systémique, la Coalition de la société civile du KP invite à repenser la définition des « diamants de conflits » afin d’y inclure désormais les exactions commises par les forces régulières, et que les audits relèvent d’instances indépendantes plutôt que de simples examens de courtoisie entre États. Reste à voir dans quelle mesure ces recommandations seront suivies, alors que le fonctionnement du KP repose sur un consensus entre Etats, qui favorise la mise en œuvre du mécanisme, mais empêche aussi des réformes non voulues par tous. Il y a pourtant urgence, alors que l’essor des diamants synthétiques, jugés plus éthiques par les consommateurs, menace de plus en plus le secteur des diamants naturels.

Emiliano Tossou

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