Ammoniac vert : l’Afrique du Sud dégaine l’arme des coûts bas pour dominer le marché africain

Publié le 12/06/2025

Alors que le Maroc, la Namibie et l’Égypte multiplient les partenariats de grande envergure pour produire de l’ammoniac vert destiné à l’export, l’Afrique du Sud tente de prendre une longueur d’avance grâce à une stratégie fondée sur un prix de production inférieur aux références mondiales.

À Coega, sur la côte est du pays, un projet estimé à 5,8 milliards de dollars vise à produire un million de tonnes d’ammoniac vert par an à partir de fin 2029. Porté par le britannique Hive Energy et la société sud-africaine BuiltAfrica, le projet ambitionne un coût de production de 650 dollars la tonne, contre environ 760 dollars sur les marchés internationaux. Cet écart de prix pourrait s’avérer décisif sur un marché en formation, où la compétitivité reste le critère principal pour sécuriser les premiers contrats d’achat à long terme.

Ce projet s’appuie sur les atouts existants du port de Coega, à savoir une usine de dessalement déjà opérationnelle et l’abondance des ressources solaire et éolienne. En choisissant de miser sur des infrastructures existantes et un cadre industriel déjà structuré, les promoteurs veulent éviter les surcoûts et retards qui pèsent sur d’autres projets du continent. Leur argument consiste à proposer aux clients européens, japonais ou coréens une solution crédible, livrable dans les délais, et moins chère que l’offre actuelle.

L’Afrique du Sud entre toutefois dans une compétition continentale intense. En effet, le Maroc, avec l’appui de TotalEnergies, prépare le projet Chbika, qui veut combiner 1 GW d’énergies renouvelables et une production annuelle de 200 000 tonnes d’ammoniac vert, dans la région de Guelmim-Oued Noun, près du Sahara occidental. Ce projet bénéficie d’un soutien politique actif, notamment de la France. Pour TotalEnergies, le royaume dispose des meilleurs atouts pour devenir un partenaire stratégique de l’Union européenne, dans le cadre du « Green Deal ».

Plus au sud, à une toute autre échelle, la Namibie mise sur le mégaprojet Hyphen, dont la capacité cible est de 2 millions de tonnes d’ammoniac vert par an. Estimé à 10 milliards de dollars, ce projet doit être réalisé dans le Parc national du Tsau//Khaeb, une zone protégée. L’accord de faisabilité et de mise en œuvre a été entériné, en dépit de critiques persistantes de la part de militants communautaires, qui dénoncent un manque de transparence dans l’attribution du contrat.

L’initiative a déjà donné lieu à des protocoles d’accord avec des clients européens pour la livraison de 750 000 tonnes par an, en partie via le port de Rotterdam. Toutefois, le projet reste exposé à plusieurs risques que sont la rareté de l’eau dans cette région désertique, les défis logistiques liés à l’éloignement des principaux marchés et les interrogations sur la gouvernance du processus.

Une fenêtre d’opportunité pour l’Afrique du Sud

Dans ce contexte, l’Afrique du Sud mise sur la stabilité industrielle, l’existence d’un tissu portuaire structuré, et surtout l’absence de dépendance à des subventions massives. Contrairement à l’Inde ou à l’Australie, qui misent sur des mécanismes publics pour abaisser le coût du kilowattheure et ainsi dominer le marché, l’offre sud-africaine repose sur des bases purement industrielles et commerciales. Elle pourrait ainsi séduire des acheteurs soucieux de garantir des approvisionnements avec des coûts maîtrisés dans un environnement géopolitique moins volatil.

Reste que la promesse d’un ammoniac à 650 dollars la tonne devra être tenue dans la durée, face à des concurrents aux ressources financières plus importantes et aux ambitions plus vastes.

D’ici 2030, l’Union européenne prévoit d’importer dix millions de tonnes d’hydrogène renouvelable par an. Cette ambition ouvre une opportunité historique aux producteurs africains, à condition qu’ils sachent convaincre sur les fondamentaux tels que le coût, la fiabilité des livraisons et surtout un cadre réglementaire clair.

Olivier de Souza

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