
La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a doublé son bénéfice en 2024 à 685,9 milliards FCFA. Cette performance repose sur un faisceau de facteurs structurels et conjoncturels. Décryptage.
C’est un chiffre qui attire l’attention, dans un environnement régional marqué par les incertitudes budgétaires, les tensions sur les marchés de la dette et un resserrement des conditions monétaires. En 2024, la BCEAO a enregistré un résultat net de 685,9 milliards FCFA (1,1 milliard $), contre 315,6 milliards un an plus tôt, soit une hausse de 117 %. Une performance qui repose sur une conjonction de facteurs techniques et stratégiques, dont certains sont durables, d’autres plus circonstanciels.
Un revenu d'intérêts alimenté par les banques commerciales
Premier moteur de la performance annuelle de la BCEAO : le bond du résultat net d’intérêts, qui atteint 682,7 milliards de francs CFA en 2024, contre 434,1 milliards un an plus tôt. Une progression de près de 250 milliards qui ne doit rien au hasard. Dans un contexte de resserrement monétaire global, la banque centrale ouest-africaine a joué habilement de ses instruments, sans toucher à ses taux directeurs. Elle a laissé les marchés décider du prix de l’argent à son guichet hebdomadaire, où les taux ont flirté avec les 5,5 %, soit 200 à 300 points de base de plus que durant une bonne partie de l’année précédente. Le signal était clair : les banques commerciales, confrontées à des tensions de liquidités, ont répondu présentes, et la BCEAO a ouvert les vannes, en multipliant les volumes injectés. Résultat, les revenus issus du refinancement ont bondi de 46 %, à 482,2 milliards de francs CFA.
À cela s’ajoute un retour en force des rachats de titres publics. Longtemps outil discret dans l’arsenal monétaire de la BCEAO, ils ont rapporté 86,5 milliards de francs CFA, contre à peine 32,9 milliards en 2023. Le timing était bon. Entre tension sur les trésoreries bancaires et rendements souverains attractifs, ces opérations ont offert un double avantage : soutien aux marchés domestiques et relèvement des revenus de placement. De fait, cette ligne contribue à elle seule à plus de 50 milliards de revenus supplémentaires.
Jean-Claude Kassi Brou, Gouverneur de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Bceao)
Une gestion active des avoirs extérieurs, entre rendement et sécurité
La BCEAO n’a pas seulement joué sur les taux. Elle a aussi tiré parti de la géographie monétaire. Avec des taux toujours élevés du côté de Francfort et de Washington, elle a repositionné ses avoirs extérieurs — notamment en euro et en dollar — sur des supports mieux rémunérés. Les intérêts générés par les avoirs en devises ont progressé de près de 19 milliards, pour atteindre 133,6 milliards de francs CFA. En outre, les seuls revenus issus des comptes de correspondants, c’est à dire des dépôts à vue auprès d’institutions étrangères, ont été multipliés par deux et demi, à 9,6 milliards. Seule baisse notable côté produits : les revenus issus du portefeuille de titres extérieurs ont reculé de 13,6 milliards FCFA, passant de 58,6 à 44,9 milliards entre 2023 et 2024. Cette baisse s’explique en grande partie par le repli des intérêts perçus sur les bons du Trésor étrangers évalués au coût amorti, qui ont généré 30,1 milliards cette année, contre 45,5 milliards, un an plus tôt.
Enfin, du côté des charges d’intérêts, la BCEAO a fait le ménage. La note s’est allégée de 30 milliards, tombant à 90 milliards de francs CFA. Une ligne en particulier explique cette détente : la disparition pure et simple des charges exceptionnelles enregistrées en 2023 sur certains bons du Trésor évalués à la juste valeur.
Des gains de change valorisés… sans gonfler artificiellement le résultat
Deuxième levier : le résultat net sur opérations de change, qui bondit à 62,4 milliards FCFA contre 5,7 milliards en 2023. Une progression qui s’explique par la gestion favorable des réserves en devises, dans un contexte de volatilité persistante sur les marchés des changes.
Au fil de l’année, la Banque a procédé à des opérations de conversion de ses devises étrangères, principalement des dollars et des euros, dans un contexte de forte volatilité des marchés. Ces opérations se sont révélées rentables : 115,2 milliards de francs CFA de gains effectivement réalisés ont été enregistrés. Autrement dit, la BCEAO a utilisé une partie de ses devises à des moments où leur valorisation, au regard du franc CFA, était favorable. Ces gains, parce qu’ils ont été concrètement effectués, sont inscrits au compte de résultat.
Cependant, au 31 décembre alors qu’elle devrait boucler ses comptes, les devises détenues par la BCEAO, qui n’avaient pas encore été utilisées, affichaient une perte latente — les devises n’ont pas été vendues — de 52,8 milliards FCFA, car la valeur de certaines devises avait diminué. La BCEAO dit n'avoir pas inclus cette perte dans son résultat net, en suivant les règles de prudence et ses propres statuts.
Plutôt que de laisser cette perte impacter négativement le résultat, le Conseil des ministres de l’UEMOA avait autorisé un prélèvement sur la réserve de réévaluation des devises, inscrite au passif du bilan. Cette réserve, constituée lors des années précédentes grâce à des gains latents, a ainsi joué un rôle de stabilisateur comptable.
Des charges mieux contenues que l’an dernier
La structure du résultat net a également bénéficié de la maîtrise des charges d’exploitation. Les dépenses globales se sont établies à 228,3 milliards FCFA, légèrement en baisse par rapport à 2023. La BCEAO a notamment réduit ses coûts liés à la fabrication et à la gestion de la monnaie fiduciaire, tout en maintenant ses charges générales et ses amortissements à un niveau stable.
Un résultat global porté par l’or et la réévaluation du patrimoine
Au-delà du résultat net, la BCEAO a publié un résultat global de 1 560,6 milliards de francs CFA, soit presque le triple de l’exercice précédent. Ce résultat global prend en compte des éléments qui ne sont pas directement visibles dans le bénéfice net. Il s'agit notamment de la réévaluation de ses réserves d'or, dont la valeur a augmenté de 38 % en 2024 grâce à la hausse des cours mondiaux. Cette augmentation a généré une plus-value de 700 milliards de francs CFA, qui n'est pas comptabilisée dans le bénéfice net en raison des règles comptables, mais qui renforce les fonds propres de la banque centrale qui s’établissent à 4 277 milliards FCFA, en hausse de 32 % sur un an. Le résultat global comprend également la réévaluation des actifs immobiliers et des ajustements liés aux engagements sociaux. Le reste du résultat global provient de la revalorisation des actifs immobiliers (+180,8 milliards) et d’ajustements actuariels positifs sur les engagements sociaux.
Fiacre E. Kakpo